Éthique du soin ultime, par Jacques Ricot

Trouvé sur Nantes.Maville.com (Ouest-France)

Dans son nouvel ouvrage, Éthique du soin ultime, le philosophe nantais Jacques Ricot met en garde sur les dérives de l’émotion face à la souffrance et la mort.

Entretien

Comment meurt-on aujourd’hui en France ?

On meurt de plus en plus seul, dans une société où la communauté rurale est en déclin. L’individualisation a entraîné des situations de grande solitude avec des gens qui n’ont plus de réseau familial. Ces personnes-là meurent seules, même si elles sont entourées par le personnel soignant.

Les soins palliatifs sont devenus une aide précieuse pour accompagner les mourants… Cela suffit-il ?

Soigner, c’est se préoccuper de la personne. On peut vivre très longtemps avec une maladie incurable quand on est convenablement soulagé. Le soin signe notre appartenance à l’humanité. Il ne permet pas de réussir sa mort. Chacun meurt comme il peut. Mais le soin donné aide, effectivement, au passage vers la mort. Les paroles que j’ai recueillies à ce sujet sont souvent très émouvantes et très éloquentes.

La mort est-elle une acceptation ?

Par définition, la mort nous échappe. Nous ne savons pas ce qui se passe de l’autre côté. Pour certains, on passe d’un état à un non-état. Pour d’autres, c’est différent. Ça dépend des consciences. Je laisse la question aux croyants et aux soignants qui s’occupent de spiritualité. Dans mon livre, je me suis centré sur l’aspect moral et politique.

Vous parlez notamment de compassion. Vous dites que la vraie compassion n’est pas du côté de l’émotion…

Bernanos disait qu’il y a une fausse compassion de l’ordre de la tripe sensible. Précisément, il dit, et en cela, c’était un visionnaire : « L’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe sensible. » Les victimes nous émeuvent. Mais au nom de l’émotion, on peut tout faire et son contraire. Nous croyons que le seul fait d’éprouver de la pitié suffit à trouver l’attitude juste. Nous oublions que le cœur doit être intelligent et que, de ce fait, la pitié doit être intelligente.

Il y aurait, selon vous, confusion entre le compassionnel et le compatissant.

L’homme compassionnel est à l’opposé de l’homme compatissant : le premier veut supprimer le souffrant, le second veut supprimer la souffrance. Nous ne supportons pas la souffrance, nous ne supportons pas le souffrant. Pourquoi ? Il faut regarder ça de plus près. Quand on dit à une personne handicapée, il aurait mieux valu que tu n’existes pas, d’ailleurs toi-même tu le dis, et qu’on va jusqu’à l’éliminer, on peut s’interroger. Notre époque a tendance à dire qu’il s’agit d’un geste d’amour. Euthanasier est en réalité un acte d’impuissance. Car est-ce aimer que d’ôter la vie de ceux qu’on aime ?

Éthique du soin ultime, Jacques Ricot, philosophe nantais, Presses de l’EHESP

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