Allez les Bleus ! (coupe du monde 2010-III)

Trouvé sur Slate.fr

Quel cirque! La défaite de l’équipe de France de foot face au Mexique  a pris une telle ampleur qu’il est temps de dire: halte au feu ! Car nous voilà plongés chaque jour davantage dans un véritable juillet 1998 à l’envers.
Hier la victoire, la première dans l’histoire d’un football national qui n’avait jusqu’alors à son actif qu’un seul titre (l’euro 1984) et «la fête black-blanc-beur»; c’était l’identification à une équipe symbolisant la diversité française et la prise de conscience du potentiel, pour le dynamisme du pays, que celle-ci représentait.
Aujourd’hui, une défaite annonciatrice d’élimination dès le premier tour, comme en 2002, et qui est en train – au-delà du psychodrame actuel avec ce qu’il a de rocambolesque et parfois de grotesque — de glisser vers ce qui pourrait ressembler à un choc des cultures, et à travers les joueurs de l’équipe de France, à une stigmatisation plus redoutable, un ressentiment de ce que qu’avait représenté 1998 en terme sociologique. C’est Alain Finkielkraut qui dénonce des «voyous opulents et pour certains inintelligents». «Il faudra maintenant sélectionner des gentlemen», conclut le philosophe.
On voit bien dans ces conditions le mur qui pourrait bien resurgir à travers un événement qui aurait dû rester sportif. Le tout dans un climat qui frise l’hystérie, une couverture médiatique massive et, une escalade dans le vocabulaire incessante — il n’est question que de «honte», de «demander des comptes», «de faire payer», jusqu’au président de la République qui juge la situation «inacceptable», bref un climat de lynchage médiatique qui fait perdre tout sens de la mesure.
«Permis de tuer»
Il ne s’agit pourtant que d’un jeu, d’une fête dédiée à la promotion d’un sport, d’un tournoi qui permet aux uns de briller, aux autres de constater qu’ils ont encore du chemin à faire. L’Italie, championne du monde, est en difficulté, l’Angleterre n’y arrive pas malgré un entraineur hors pair, l’Allemagne connaît la défaite, le Cameroun est éliminé, la Côte d’Ivoire prend le chemin de la sortie: tous ces événements donnent lieu à protestations, à polémiques, mais pas nécessairement à un drame national d’une telle ampleur.
Dans un premier temps, il ne s’agissait pourtant que de crier haro sur le sélectionneur. La défaite face au Mexique a agi comme un «permis de tuer» où se sont levés comme un seul homme tous les détracteurs de Raymond Domenech. Au départ, il y avait deux attitudes possibles: ceux qui pensaient que des joueurs, souvent brillants dans leur club, se hisseraient à la hauteur de l’enjeu; et ceux qui attendaient un échec qu’ils pensaient programmé.
Ces derniers ont certes eu raison. Mais, avait-on besoin de tant de superlatifs, de tant de haine, pour dénoncer par exemple «30 ans d’imposture»? Si l’on se met deux secondes à la place de Raymond Domenech, que penser de ce commentateur, ancien entraîneur, qui n’a aucun palmarès à son actif, ou bien de ces anciens joueurs de 1998, qui ont surtout eu la chance d’être les équipiers de Zidane, qui font la leçon et pointent du doigt un seul coupable sur le terrain, à savoir Raymond Domenech, puis Nicolas Anelka, que  l’on a vu «marcher»!
Anelka, un des meilleurs joueurs français
Ce délire du commentaire avait donc créé les conditions de l’hallali qui se déroule sons nos yeux et qui a été marquée — deuxième temps — par l’exclusion d’Anelka, lequel est, à mes yeux, l’un des meilleurs joueurs français actuels, comme peuvent en témoigner les dirigeants de Chelsea. Sans même prendre garde au fait que celui-ci n’a guère pu présenter sa version et qu’il faudrait donc considérer comme avérés les mots qui lui sont prêtés; et désormais minimisés par Domenech: on peut alors comprendre le sentiment d’injustice qui anime les joueurs, et les conduit à se solidariser avec Anelka.
Comme si les échanges dans les vestiaires de n’importe quel stade où que ce soit, étaient toujours des conversations de «gentlemen». Ecoutons John Terry, le capitaine anglais, qui dit que la sanction est une mauvaise décision et qu’Anelka a été renvoyé pour avoir exprimé son opinion; écoutons Arsène Wenger, le manager d’Arsenal, en désaccord avec la FFF, qui estime que si Anelka doit s’excuser, c’est uniquement devant les joueurs et l’entraîneur. Il suffit de se souvenir des protestations de tel arbitre sur la kyrielle d’épithètes dont il a été gratifié par Rooney pour comprendre que les invectives sur le terrain comme dans les vestiaires sont monnaie courante, et qu’il faut une bonne dose d’hypocrisie pour en faire une telle affaire.
Une fois admise, et dénoncée l’arrogance et souvent l’autisme de ce groupe, et surtout le fait qu’il ne soit pas à même de le disputer aux meilleurs – Domenech avec Zidane est allé jusqu’en finale en 2006 et Zidane n’a pas de remplaçant visible, cette affaire est peut-être un tournant: jusqu’à présent les footballeurs et les sportifs de haut niveau étaient épargnés par la critique, alors même que la crise rendait plus vigilante l’opinion  sur les dérives de l’argent facile.
«Génération caillera»: attention danger!
Tout se passe comme s’il leur était à leur tour reproché l’individualisme et l’argent. Les sur-salaires de certains joueurs étaient en eux-mêmes indécents. Ils deviennent dans la défaite un objet de scandale. L’autre tournant est la marque d’un pays qui, ne reconnaissant plus ses joueurs, a changé de regard sur sa réalité sociale: là où tout passait au nom de l’école de promotion sociale que représentait le football, on se met à pointer du doigt «les voyous» ou ceux qui sont désignés comme tels.
Et les joueurs, du moins les plus visibles, pour ne pas dire les plus colorés, sont désignés à la vindicte populaire comme des «caïds», la «génération caillera»! Qu’on leur reproche leur arrogance, leur indifférence dorée, bien sûr. Mais en faire les symboles d’une partie de la société, celle qui cumule le plus de difficultés et de discriminations, ce n’est pas raisonnable. On aurait donc d’un côté les bons et de l’autre les méchants des banlieues. «Si la France de ces petits caïds gagne ce sera une catastrophe», nous dit encore Alain Finkielkraut. C’est précisément ce type de distinction qu’il faut éviter, si l’on ne veut pas ajouter à l’échec sportif un conflit d’une autre nature.
Tout ça pour ça, comme disait Nathalie Sarraute! Il vaudrait peut-être mieux suivre les conseils de nos confrères italiens qui expliquent sagement que l’emportement est toujours un mauvais conseiller. Et qui dénoncent «la démocratie de la rage», quand il faudrait simplement reprendre la dimension de ce qui devrait rester un jeu. Et souhaiter un bon match contre l’Afrique du Sud…
Jean-Marie Colombani

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