Les nystagmus : le bilan ophtalmologique André Roth

Le bilan d’un nystagmus :
interrogatoire, inspection, examen clinique, examen de la rétine, ERG-PEV et IRM.


Introduction


Quel ophtalmologiste ou quelle orthoptiste n’a jamais été désemparé devant un sujet atteint de nystagmus congénital, et davantage encore lorsque ce sujet est un polyhandicapé psychomoteur ? Essayons de nous représenter un examen en situation. Un tel examen nécessite du temps et de la patience ; il doit souvent être répété pour aboutir aux propositions thérapeutiques les plus appropriées qui amélioreront autant que faire se peut les conditions visuelles du sujet ; ces mesures peuvent être variables d’un sujet à un autre.

Les notions anamnésiques


L’écoute et l’entretien de départ avec le sujet ou les parents ou accompagnants du sujet nous laissent le temps de décider de la manière dont nous allons pouvoir mener l’examen qui nous est demandé.
Nous allons nous enquérir de l’âge à partir duquel le nystagmus a été reconnu, du comportement visuel et des capacités visuelles apparentes de l’enfant, en comparaison avec d’autres enfants non nystagmiques de son âge ; si l’enfant est plus âgé, nous nous ferons préciser quelles sont les difficultés scolaires qu’il rencontre, pour un adulte, les difficultés au quotidien, au travail.
Le sujet a-t-il des lunettes ou des lentilles de contact ; sont-elles portées ou non, améliorent-elles sa vision ? A-t-il été opéré des yeux (cataracte ou glaucome congénital), a-t-il été opéré pour son nystagmus ?
A-t-on trouvé une explication à son nystagmus ? Y a-t-il d’autres anomalies ou handicaps associés ? Le nystagmus est-il familial ?

Le comportement spontané


Pendant ce temps d’entretien nous observerons le comportement spontané du sujet, son maintien, son attitude lorsqu’il vous fixe, ou son incapacité de fixer.
Adopte-t-il une position de torticolis en vision de loin ou/et de près ? Le torticolis, s’il existe, est-il constant ou intermittent, invariable ou alternant ? Comment le sujet oriente-t-il son regard préférentiellement ? Comment bat le nystagmus dans cette position de la tête et des yeux ? Y a-t-il une instabilité associée de la tête ?
Toutes ces observations que nous aurons faites et notées sont essentielles pour la suite de l’examen et du bilan.

Le bilan sensoriel : première difficulté de l’examen


L’acuité visuelle


La déficience visuelle est le signe fonctionnel majeur du nystagmus congénital ; elle en est le principal handicap. Comment mesurer l’acuité visuelle ? Cette mesure pourra au besoin se faire en plusieurs étapes.
Pour la première mesure, on évitera toute contrainte et on laissera le sujet adopter l’attitude qui lui convient le mieux. On demandera au sujet de lire de loin, selon le cas sans correction ou/et avec la correction portée, en vision binoculaire, même en cas de strabisme associé, dans la position de la tête adoptée spontanément (figure n° 1). On contrôlera l’acuité visuelle de près dans les mêmes conditions.
On reprendra ensuite les mesures en vision monoculaire de loin et de près, en laissant encore le sujet adopter la position de la tête la plus favorable (figure n° 1). Ce faisant, comment exclure l’autre œil ? Faut-il occlure l’autre œil ? Cela risque d’augmenter l’intensité du nystagmus de l’œil testé. Aussi est-il préférable de laisser l’œil non testé découvert, sans correction lorsque l’amétropie est marquée, ce qui est possible en cas de myopie ou autre amétropie moyenne ou forte, ou de placer un écran translucide ou mieux encore, une surcorrection convergente devant cet œil lorsque l’amétropie est faible. Malgré cela, est-ce suffisant pour ne pas déstabiliser l’œil testé ?
L’asymétrie de l’acuité visuelle peut résulter d’une asymétrie d’intensité du nystagmus en vision monoculaire, malgré les précautions indiquées ci-dessus. En pareil cas, l’anisoacuité n’est pas l’expression d’une amblyopie véritable, mais celle d’une fausse indication d’amblyopie unilatérale. La question n’est pas toujours facile à trancher.
On poursuivra ensuite les mesures de l’acuité visuelle en position primaire du regard, puis à l’opposé du torticolis. Les résultats seront reportés sur un tableau donnant une vue d’ensemble des résultats (tableau n° 1).
L’acuité visuelle dépend des caractéristiques du nystagmus, avant tout du temps de fovéation (Tf), de la position de l’œil pendant le Tf, de la réfraction et de l’état rétinien et optique.
Dell’Osso a montré que la vitesse des yeux diminue au moment où l’image de l’objet passe sur la fovéa : c’est ce qu’il a appelé la période de fovéation (le temps pendant lequel la vitesse est inférieure à 4°/s). L’acuité visuelle dépend de la durée des périodes de fovéation selon une fonction exponentielle : si ces périodes sont de plus de 40 ms, l’acuité peut dépasser 0,6.
Mais l’acuité visuelle dépend aussi de la variabilité de la position par rapport à la fovéola au moment de la période de fovéation ; cette variabilité est exprimée par son écart type (figure n° 2). L’étude de Cesarelli et al. [1] sur 20 sujets, a trouvé un écart type de cette variabilité de position (DSp) [2] de 0,34° à 3,20°. « La fonction d’évaluation de l’acuité visuelle du nystagmique  » se calcule par la formule suivante :

FEAV = exp (-DSp)*(1-exp (-Tf/33,3))
L’acuité visuelle est par conséquent en corrélation avec le Tf et la DSp. En revanche elle ne l’est pas avec l’amplitude, la vitesse finale, ni la fréquence du nystagmus. Il n’y pas non plus de corrélation entre une amélioration de l’amplitude et de la fréquence du battement nystagmique.
On recherchera toujours quelle est l’acuité visuelle maximale binoculaire et monoculaire. L’effort visuel sollicite au maximum les mécanismes compensateurs en jeu ; c’est pourquoi il peut révéler ou augmenter un torticolis.
L’Acuité visuelle binoculaire ou bi-oculaire maximale est, dans la majorité des cas, supérieure à l’Acuité visuelle monoculaire ; elle atteint parfois 1,0 ; mais l’inverse est possible. Lorsqu’elle est inférieure à la normale, la déficience est-elle due au seul nystagmus ou y a-t-il une amblyopie bilatérale surajoutée, due par exemple à une hypermétropie forte longtemps non corrigée ? L’Acuité visuelle de près est le plus souvent supérieure à l’Acuité visuelle de loin ; mais ce résultat est-il obtenu en respectant la distance normale de lecture, ou seulement en laissant le sujet mettre en jeu la convergence accommodative maximale ?
L’acuité visuelle monoculaire maximale des deux yeux peut être égale (isoacuité) ; si elle est inégale (anisoacuité), il faut en rechercher la cause : est-elle due au décentrement du regard à travers le verre correcteur ou existe-t-il une amblyopie unilatérale (voir ci-dessus).

La réfraction


L’amétropie se mesurera nécessairement par une méthode de réfraction objective. Les mesures aux réfracteurs automatiques sont rarement possibles en cas de nystagmus. La skiascopie sous cycloplégie demeure la méthode de réfraction de choix. Cette mesure est à répéter.
Tous les cas de figure peuvent se rencontrer en cas de nystagmus, aussi bien la myopie simple ou forte, l’astigmatisme myopique, mais aussi l’emmétropie ou l’hypermétropie moyenne ou forte. L’anisométropie est fréquente. Dans une série de 49 sujets atteints de nystagmus congénital, O Robine a constaté un astigmatisme égal ou supérieur à 2 ∂ dans un tiers des cas environ. Les astigmatismes de cette série de sujets sont visualisés à l’aide du graphique de Holladay (valeur de l’astigmatisme en coordonnées radiaires, axe de l’astigmatisme en coordonnées circulaires) (figure n° 3).
La règle générale veut que l’on prescrive, ici comme ailleurs, la correction optique totale en lunettes ou, si ou dès que possible, en lentilles de contact. L’acuité visuelle devra à nouveau être mesurée une fois que le sujet sera équipé et adapté à la correction optimale.

La vision binoculaire


La majorité des cas le nystagmus congénital ne s’accompagne pas de strabisme (le nystagmus latent/manifeste des strabismes précoces n’étant pas pris en considération ici). La correspondance rétinienne et la vision binoculaire sont de ce fait normales. C’est l’une des raisons pour lesquelles le nystagmus est moins intense en vision binoculaire, que l’Acuité visuelle binoculaire est supérieure à l’Acuité visuelle monoculaire. Selon l’acuité, il est possible de mettre une acuité stéréoscopique effective en évidence, aussi bien avec les tests à contours qu’avec les tests à points aléatoires.

La vision des couleurs


L’examen de la vision des couleurs fait partie du bilan fonctionnel du nystagmus. En effet l’achromatopsie et le monochromatisme à cônes S ou « bleus  » (double daltonisme protan et deutan) sont une étiologie possible, non exceptionnelle, du nystagmus congénital. La déficience de la vision colorée est évidente dans la vie courante et les moyens de le reconnaître sont à la portée de tout ophtalmologiste. Les tests d’assortiment à saturation standard (D-15, 28 hue) montrent un classement scotopique des pions. Le New Color Test de Lanthony montre mieux encore que le classement des pions selon leur luminosité apparente est de type scotopique. Les équations colorées selon la méthode des deux équations colorées (Roth) confirment et précisent le diagnostic : la pente de luminosité de l’équation « rouge + vert = jaune  » est de type scotopique ; celle de l’équation « bleu + vert = cyan  » est normale en cas de monochromatisme à cônes S ; elle est de type scotopique en cas d’achromatopsie (figure n° 4).

Le bilan moteur


Les caractéristiques du nystagmus


Deuxième difficulté de l’examen
L’analyse d’un nystagmus nécessite souvent des examens prolongés qu’il faut savoir répéter ; elle se fera dans les neuf directions du regard, mais surtout en position de torticolis, à son opposé et en position primaire (si le sujet adopte une telle position), en vision de loin et de près [3].
Le mouvement nystagmique est variable, d’un sujet à l’autre, mais aussi chez un même sujet :
  • Il l’est dans sa forme : il peut être pendulaire ou à ressort, ou l’un et l’autre selon la direction du regard ; s’il est à ressort, il est le plus souvent horizontal, horizontal et rotatoire, plus rarement vertical et/ou rotatoire ;
  • Il l’est en amplitude, en fréquence et en direction ;
  • Il l’est selon que le sujet fixe d’un œil ou des deux yeux ; il s’atténue souvent en vision binoculaire ou bi-oculaire, mais ne s’arrête qu’exceptionnellement tout à fait.
  • Le nystagmus peut être :
    • Unidirectionnel, battant toujours dans la même direction, quels que soient l’œil fixateur et la direction du regard ; la zone de moindre mouvement se trouve à l’extrémité de la phase lente de dérive du mouvement ;
    • Il est plus souvent bi-directionnel, battant à droite dans le regard à droite, à gauche dans le regard à gauche (A. Spielmann), en s’inversant entre ces deux positions à l’endroit de la zone d’inversion, appelée zone ambiversive par Dieterlé ou zone privilégiée ou de moindre mouvement ; mais pour une direction donnée du regard, il ne change pas de direction, que la vision soit binoculaire ou monoculaire et quel que soit l’œil fixant ;
    • Dans ces deux cas il est concordant selon A Franceschetti et al. ; il est discordant s’il est plus complexe et varie dans les conditions énumérées ci-dessus.

La zone de moindre mouvement est à rechercher avec soin. Elle peut se trouver dans la zone centrale du champ du regard ; le sujet dispose alors d’une vision optimale en position primaire du regard. Si elle se trouve dans une zone excentrée, le sujet adopte une position de torticolis ; s’il existe deux zones excentrées, le torticolis sera double, l’un d’eux étant préférentiel. En vision de près la zone de moindre mouvement peut être centrale et/ou excentrée ; la convergence accommodative atténue souvent l’intensité du nystagmus. Parfois la version destinée à atténuer le mouvement peut se faire dans une direction différente de celle de la dérive du nystagmus, en direction verticale ou rotatoire. Ailleurs le blocage du mouvement est purement mécanique en version extrême ; lorsqu’il existe deux zones de moindre mouvement, il se peut que l’une des zones soit due à un blocage mécanique et l’autre pas. Enfin certains nystagmus n’ont aucune position de moindre mouvement.
Ces caractéristiques seront reportées sur un tableau avec des signes convenus indiquant la direction, l’amplitude et les vitesses du mouvement nystagmique (tab 2).

Y a-t-il un strabisme associé ?


Troisième difficulté de l’examen
Dans la majorité des cas de nystagmus congénital les yeux sont alignés. Dans un nombre plus limité de cas, le nystagmus de type congénital est associé à un strabisme manifeste ; cette forme clinique est à distinguer de celle de l’ésotropie précoce avec nystagmus latent/manifeste. Mais, lorsque le nystagmus est ample et intense, il n’est pas toujours facile d’exclure un léger strabisme ; en pareils cas, les tests de vision stéréoscopique ne sont pas nécessairement probants.

Le torticolis


Le torticolis est toujours en rapport avec la zone de moindre mouvement. Il peut être simple, horizontal, vertical et/ou torsionnel ; il est toujours à l’opposé de la zone de moindre mouvement. Il peut être double, en rapport avec deux zones excentrées de moindre mouvement. La recherche d’un torticolis doit se faire en observant le comportement spontané du sujet et en sollicitant un effort visuel maximum en vision de loin et de près.

Le bilan étiologique


Le bilan étiologique est d’abord clinique : il comprend en premier lieu l’examen objectif de l’appareil oculaire : celui du segment antérieur, du cristallin, de l’état vitréo-rétinien et du nerf optique. Le sujet polyhandicapé peut nécessiter un examen initial sous anesthésie. Les examens complémentaires à envisager sont détaillés dans les chapitres suivants.
Le nystagmus congénital est dû à une gêne bilatérale à l’émergence de la prépondérance fovéolaire avant l’âge de 6 à 8 mois. Selon Cogan, on distingue, bien que cela s’avère aujourd’hui trop schématique :
Les nystagmus « sensoriels  » qui représentent plus de 60  % des cas. Leurs causes peuvent être évidentes, tels une cataracte congénitale, un glaucome congénital, un colobome ou une cicatrice incluant la macula, un colobome ou une hypoplasie papillaire, une anomalie supranucléaire. L’albinisme global ou purement oculaire, plus rarement uniquement rétinien (et dans ce cas souvent méconnu) est l’une des causes les plus fréquentes. Le diagnostic de monochromatisme à cônes S ou « bleus  » ou d’achromatopsie est souvent manqué faute d’y penser ou parce l’examen de la vision des couleurs n’est pas effectué.
Les nystagmus « moteurs  », dits aussi idiopathiques, sans lésions oculaires décelables. Mais le sont-ils réellement ? Avec les progrès des investigations, l’importance relative de ce groupe tend à diminuer. Leur pronostic fonctionnel est plus favorable.
L’examen d’un sujet atteint de nystagmus congénital est une école exigeante de strabologie et d’orthoptique, mais aussi l’une des plus bénéfiques pour ceux qui entrent dans ou exercent ces professions. C’est aussi une école de patience et de persévérance. Le bénéfice que les sujets tirent d’un traitement approprié et bien conduit peut être considérable, à la mesure des efforts que nous aurons su déployer.

Références
  1. Cesarelli M, Bifulco P, Loffredo L, Bracale M. Relationship between visual acuity and eye position variability during foveations in congenital nystagmus. Doc. Ophthalmol. 2 000 ; 101 : 59-72.
  2. Écart type = déviation standard en anglais.
  3. Roth A, Speeg-Schatz Cl. La chirurgie oculomotrice. Masson, Paris, 1 995. Ce sous-chapitre est tiré de cet ouvrage.

Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010