Les nystagmus : torticolis et nystagmus Vincent Paris

Torticolis :
clinique, examen, bilan, étiologie, physiopathologie, traitement médical et chirurgical.


Classifier pour comprendre


Le torticolis associé au nystagmus est une stratégie qui peut être simple ou extraordinairement complexe.
En réalité, l’examen de la position de la tête obéit à des règles relativement simples quand on considère séparément les deux types de nystagmus rencontrés en clinique qu’est le nystagmus latent (NL), pathognomonique du strabisme précoce et le nystagmus dit « congénital pur  » (NCP) c’est-à-dire indépendant de la pathologie strabique.
La complexité vient à la fois :
  • De la présence simultanée ou même parfois successive de ces deux types de nystagmus chez un même patient ;
  • De la composante horizontale, verticale ou torsionnelle du torticolis ;
  • De l’adoption chez un même patient de plusieurs positions de torticolis en fonction de la direction du regard, de la dominance de fixation ou de la distance de fixation.

Le principe du torticolis


Principes généraux


Le torticolis peut être très variable en fonction de trois facteurs essentiels qui influent sur le contrôle cérébral du nystagmus : le degré d’attention, la fatigue et la qualité de la correction réfractive éventuellement associée.
L’examen du nystagmus se pratique dans tous les champs du regard sans oublier les positions inclinées de la tête [1,7,8].
Outre l’observation de la position de la tête lors de l’exercice de la fixation, l’examinateur prendra soin de pratiquer un cover test et d’observer la modification ou la persistance de la position de la tête en fonction du changement induit d’œil fixateur. Dans les strabismes précoces, le torticolis horizontal s’inverse toujours au changement d’œil fixateur. Souvent ces patients penchent aussi la tête, le plus souvent en l’épaule du côté de l’œil fixateur. Ils inversent aussi l’inclinaison quand on couvre l’autre œil. Cette inversion n’est cependant aussi systématique que pour la composante horizontale du torticolis.

Torticolis associé au strabisme précoce


Le nystagmus latent est un nystagmus à ressort dont la direction de la phase lente se fait toujours en adduction. Lorsque le patient fixe attentivement, il déplace son œil dans le sens de la phase lente, cela lui permet de diminuer l’amplitude de la phase rapide de rappel. Malgré la variabilité de fréquence du NL décrite dans la littérature, nous avons systématiquement constaté que tous nos patients strabiques précoces adoptaient, à un moment ou un autre une position compensatrice de fixation en adduction (figure n° 1). Le NL ne peut parfois être observé qu’au fond d’œil, en abduction de l’œil examiné et en occluant l’autre œil. Cela dit, en cas de microtropie postopératoire, l’observation d’une fixation en adduction toujours tournée du même côté est un signe tangible de dominance pathologique avec risque de développer une amblyopie de l’autre œil. Soulignons que cette fixation en adduction s’exerce de la même manière, quel que soit l’angle du strabisme, qu’il soit convergent ou divergent. Lorsque le bénéfice sensoriel est significatif en adduction, les patients évitent coûte que coûte l’abduction, ce qui donne des tableaux classiques de pseudo-paralysie d’abduction comme le montrent les figures n° 2a et 2b ci-dessous.
Un élément caractéristique du NL par rapport au NCP est la réaction provoquée par l’occlusion. Quand on cache l’œil qui prenait la fixation, le NL augmente et le torticolis nécessaire pour le compenser change de direction en fonction de l’œil fixateur : il bat toujours du côté de l’œil qui fixe. Le cover-test induit donc une modification de la position de la tête. Le torticolis s’inverse. Cette inversion rapide liée au changement d’œil fixateur est typique du nystagmus associé au strabisme précoce comme nous l’avons déjà souligné dans les principes généraux d’examen.

Le cas particulier du monophtalme


Les patients monophtalmes précoces (pathologie du développement de la fixation dans les 4 premiers mois de la vie) développent un NL dans un nombre limité de cas (environ 30  %).
Cela implique parfois de justifier l’intervention sur le bon œil pour diminuer l’adduction de fixation comme dans le cas illustré ci-dessous (figures n° 3a et 3b).

Torticolis non associé au strabisme précoce


Les observations sont fondamentalement différentes quand on examine un NCP. Dans ces cas l’occlusion d’un œil ne change pas la direction ni l’amplitude du torticolis. Celui-ci n’est pas « par nature  » horizontal (bien que ce soit le plus souvent le cas) mais peut être aussi vertical ou torsionnel. L’explication physiopathologique est moins « limpide  » que celle qui explique les sens du torticolis dans le nystagmus latent. D’après Kestenbaum « un mouvement de version dans la direction de la dérive entraîne une accalmie du nystagmus parce qu’il s’oppose à la phase rapide la plus fragile du nystagmus  ». Il existe cependant plusieurs mécanismes car la direction du torticolis et celle du nystagmus ne correspondent pas toujours : un nystagmus battant horizontalement peut être calmé dans le regard en haut par exemple. Il est rare que les trois composantes s’associent, par contre, lorsqu’un patient penche la tête pour diminuer l’amplitude de son nystagmus, il est nécessaire de prismer d’abord la composante horizontale. S’il persiste un torticolis vertical, il s’agira d’une association entre une composante horizontale et verticale. Si le patient incline la tête, il s’agira d’une association entre une composante horizontale et torsionnelle. Cette association est plus rare. Les adaptations prismatiques nécessaires peuvent se faire aisément en collant des prismes sur les lunettes en plastique de grand diamètre dessinée par Gracis. Elles se placent facilement au-dessus des lunettes (figure n° 4).
En cas de torsion associée, la mesure de l’inclinaison peut se faire à l’aide d’un torticulomètre (celui de la figure n° 5 a aussi été conçu par Gracis)
Pour nous résumer, le NL est toujours discordant, il change de sens lorsqu’on change l’œil fixateur et le torticolis s’inverse. Le NCP est le plus souvent concordant, il ne change pas de direction quand on cache l’autre œil et le torticolis reste inchangé.

Les cas mixtes


Il existe parfois des cas particuliers où les deux types de nystagmus « cohabitent  » sans qu’il soit toujours évident de les mettre en évidence cliniquement (on peut bien entendu alors recourir aux méthodes d’enregistrement). Dans ces cas, le cover-test ne modifie pas toujours le sens du torticolis même chez un patient strabique précoce.
Il se peut que le torticolis soit très complexe, mêlant des éléments verticaux et torsionnels.
Dans la majorité des cas cependant, la composante horizontale domine pour les deux types de nystagmus.
L’examen clinique repose une fois de plus sur la position de l’œil dominant [6,8]. Il s’agit en effet le plus souvent d’associer une chirurgie de déplacement conjugué à une chirurgie de déplacement monoculaire.
Selon la position de l’œil dominant et le sens de la déviation strabique, les deux types de chirurgie pouvant s’additionner ou se soustraire. Les figures n ° 3a et 3b en illustrent un exemple.
Dans le cas de la figure n° 6a, l’œil gauche se déplace en abduction, position inhabituelle chez un strabique précoce. Au cover test, l’œil droit reste en adduction et l’œil gauche en abduction : il y a ici conjonction entre déviation oculaire avec NL et un blocage relatif d’un NCP calmé en version gauche. La position du torticolis dépend évidemment de l’importance relative des deux types de nystagmus associé et des processus de blocage dont est capable d’utiliser le patient.
Dans certains cas, le temps illustre la compétition entre les deux stratégies de compensation.
L’exemple de la figure n° 4, montre un nourrisson présentant un NCP avec adoption très précoce d’une position de blocage (figures n° 7a et 7b). Trois mois plus tard, elle développe un strabisme convergent avec NL horizontal à droite et rotatoire à gauche, associé à une DVD du côté gauche (figures n° 7c et 7d). Le mouvement de version droite reste présent mais diminue et nous décidons de n’opérer que l’œil gauche en associant une chirurgie horizontale à une antérotransposition de l’oblique inférieur pour traiter la DVD (figures n° 7e et 7f).
Le résultat de la chirurgie du strabisme a rétabli un lien biloculaire qui est salutaire chez cet enfant qui fixe beaucoup mieux et qui « se consacre  » maintenant à exploiter un torticolis oscillant entre deux positions. Le gain biloculaire a toutefois concouru cependant à mieux contrôler le NCP associé.
Parfois certaines positions de blocage se modifient après un délai assez long. Citons l’exemple de cet enfant de 4 ans présentant un strabisme avec nystagmus patent et une forte amblyopie bilatérale. Le résultat postopératoire est excellent mais à l’âge de 8,5 ans il se représente avec un torticolis horizontal avec une position de blocage « biloculaire  » en version droite. Il a 8/10 aux deux yeux. Un fil ayant été placé sur les deux droits internes, j’ai réalisé un déplacement conjugué en opérant les deux droits externes en améliorant fortement le torticolis, sans toutefois le supprimer. Cette remarque est importante car il faut être honnête quant à la nature des promesses que l’on adresse aux patients. Un torticolis, quelle qu’en soit la nature ou l’importance, peut (et doit d’ailleurs) toujours être amélioré. L’importance de cette amélioration n’est cependant pas toujours prévisible et peut aussi s’atténuer ou se modifier avec le temps.

Le cas particulier de la torsion associée au strabisme précoce


Si la composante horizontale du torticolis de fixation chez le strabique précoce amène logiquement l’œil en adduction, c’est-à-dire dans le sens de la phase lente du nystagmus pour en réduire l’amplitude (loi d’Alexander), la fréquence de la composante torsionnelle de ce torticolis ne s’explique pas par la volonté de réduire l’amplitude de la composante rotatoire du nystagmus.
On pense cependant, depuis les études sur la DVD et ses relations avec les syndromes alphabétiques, qu’il existe, dans un certains nombre de cas de strabismes précoces, un déséquilibre torsionnel tonique. Ce déséquilibre serait la résultante inégale entre les influx extorsionnels qui accompagnent la DVD qui décompense et les influx intorsionnels qui accompagnent le mouvement de l’œil qui reprend la fixation. Dans cette hypothèse, l’inclinaison fréquente de la tête, le plus souvent inclinée sur l’épaule de l’œil fixateur, aurait pour origine un mouvement mécanique compensateur d’une torsion résiduelle. Nous avons déjà discuté ce point de vue lors d’un colloque précédent [5].
Il est difficile de démontrer cliniquement la réalité d’un tel déséquilibre torsionnel car il n’est pas mesurable subjectivement chez ces patients strabiques et précocement dissociés. Quant à la déviation objective observée au fond d’œil, elle fait l’objet de beaucoup de discussions liées à la dispersion des valeurs normales, à la variabilité des mesures dynamiques et à l’asymétrie des déviations en fonction de la dominance de fixation.
Il arrive cependant qu’on mette en évidence de rares cas étayant cette hypothèse. Ce fut le cas dans notre expérience chez quatre patients atteints du syndrome du monophtalme et qui présentaient tous une inclinaison constante de la tête du côté de l’œil fixateur.
Si on suit la logique de Kestenbaum, il faudrait dans ces cas réaliser une chirurgie déplaçant.
Le globe en sens inverse, dans le sens de l’inclinaison de la tête, c’est-à-dire en extorsion. C’est ce que préconisent certains auteurs [1,8]. En lieu et place d’une mise en extorsion, nous avons fait exactement l’inverse en reculant l’oblique inférieur de ces patients. En effet, partant de l’hypothèse d’une incyclocompensation mécanique (par inclinaison de la tête) d’une excyclodéviation basique résiduelle, il est dès lors logique de diminuer l’extorsion initiale pour diminuer le besoin de la compenser. Cette attitude a conduit systématiquement à un excellent résultat qui est resté stable dans le temps. Cette stabilité dans le temps est importante à souligner car elle sous-tend le bien-fondé de toute la chirurgie strabologique.
Certains auteurs pensent que la composante torsionnelle du torticolis lié à la fixation du strabique précoce, se compense après une chirurgie horizontale efficace. C’est vrai dans un certain nombre de cas tant il est vrai que le strabique précoce possède des « trésors cachés  » pour assurer un rééquilibrage moteur et sensoriel.
Il y a cependant des cas où les ressources manquent et où la chirurgie est nécessaire.
Nous citons un exemple particulièrement caractéristique de ce que nous venons de décrire. Cette patiente de 44 ans présentait un nystagmus mixte (strabique et non strabique) et avait été opérée 15 ans auparavant d’un double recul des droits externes associé à un recul asymétrique des deux droits supérieurs car elle présentait à la fois un strabisme divergent et une position de blocage vers le haut. On notait à l’époque la présence d’une inclinaison de la tête sur l’épaule gauche et d’un syndrome V. La recherche du regard vers le haut était donc bien due à une position de blocage du NCP et non à une recherche de bi-ocularité puisque l’exotropie augmentait dans le regard vers là-haut. La chirurgie a rendu la patiente sensoriellement satisfaite pendant dix ans. Elle revient cependant en se plaignant de devoir faire des efforts de convergence pour voir mieux. Elle est exotrope de loin et de près, alterne sa fixation et est également gênée de devoir incliner la tête sur l’épaule droite pour fixer avec son œil droit et sur l’épaule gauche pour fixer avec son œil gauche. Cette discordance d’inclinaison de la tête en fonction de l’œil fixateur oriente immédiatement le diagnostic vers une anomalie torsionnelle associée au strabisme précoce. Certains auteurs [2,3] ont étudié le fond d’œil des strabiques précoces sous AG et ont pu étudier un taux de corrélation significative entre le déséquilibre verticotorsionnel et la torsion objective « anatomisée  » sous narcose.
Nous l’avons étudié chez notre patiente : elle présentait une extorsion objective bilatérale très significative, plus marquée à gauche. Nous avons associé un recul des deux obliques inférieurs à une plicature d’un droit interne. Les photos (figures n° 8a et 8b) illustrent les aspects pré et postopératoire.
Ces cas ne sont bien entendu pas les plus nombreux mais ils sont souvent les plus difficiles à traiter car, à notre avis, ils sont mal compris.
Lorsque la composante non strabique domine en cas de torticolis torsionnel, le torticolis n’est pas modifié par le changement d’œil fixateur provoqué par le cover-test. La chirurgie nécessaire pour corriger le torticolis est alors une chirurgie conjuguée classique qui crée une torsion conjuguée, ce qui est fondamentalement différent du traitement du torticolis torsionnel strabique où le but est au contraire de diminuer la torsion sous-jacente.
Il ne s’agit pas des mêmes mécanismes de compensation, il est donc logique d’adopter des stratégies chirurgicales différentes.
Il existe cependant de rares cas « mystérieux  » chez qui on a « tout essayé  » pour qu’ils redressent leur tête, sans jamais y parvenir comme dans le cas illustré ci-dessous (figures n° 9a et 9c).

Les surcorrections


Les méthodes d’adaptation prismatiques, aussi bonnes soient-elles, ne permettent pas toujours de doser valablement la chirurgie. Cette difficulté de modéliser le dosage a été récemment honnêtement soulignée par Yang [12] dans les cas de déplacement verticaux conjugués. Les dosages nécessaires sont souvent assez élevés mais conduisent cependant à un nombre finalement assez limité de surcorrections. Il est notamment surprenant que des déplacements verticaux portant souvent sur les quatre muscles droits verticaux entraînent rarement de troubles torsionnels [11, 12]. De même, la chirurgie de mise en divergence, lorsque l’indication est bien posée (nécessitant parfois plusieurs jours voire plusieurs semaines d’adaptation prismatique pour certains auteurs), entraîne assez peu d’exotropie. Spielmann [9] a insisté sur l’importance de la longueur axiale dans cette chirurgie : les cas surcorrigés sont le plus souvent des hypermétropes forts.
Dans certains cas une chirurgie peut entraîner une déviation strabique sans altérer le gain sur le torticolis. C’est le cas de la jeune patiente évoquée ci-dessous (figure n° 10), opérée d’une chirurgie conjuguée de type Anderson pour un torticolis important avec blocage en version droite (figure n° 10a). Dix mois après cette intervention, elle décompense un strabisme divergent mais garde la tête droite car elle fixe habituellement avec l’œil gauche dont le droit interne a été reculé et qui est donc déplacé vers la gauche (figure n° 10b).
En cas de fixation en adduction importante chez un strabique, il ne faut se laisser « tenter  » par une chirurgie conventionnelle trop généreuse sur cet œil. Cela conduit parfois à une dérive de la fixation vers l’abduction comme dans l’exemple ci-dessous. Cette patiente, monophtalme, a été opérée d’un recul du droit interne associé à une opération du fil sur son œil dominant. Deux plus tard, sa fixation oscille entre une position d’adduction (rarement adoptée : figure n° 11a) et une position d’abduction, plus fréquemment adoptée (figure n° 11b).
Nous profitons de cet exemple pour encourager le lecteur à utiliser les grilles transparentes, mises au point par Gracis. Ces grilles permettent une excellente analyse de la fixation grâce à l’impression de nombreux signes (chiffres ou dessins) de tailles décroissantes. L’effort de reconnaissance des signes par le patient permet à l’examinateur une excellente étude dynamique de la fixation facile à observer à travers le test (figure n° 12).

Conditions d’examen


La correction optique


L’examen d’un torticolis se fait avec la correction optique totale pour éliminer tout facteur sensoriel, qu’il soit visuel (l’astigmatisme notamment est fréquent chez les nystagmiques) ou accommodatif (il arrive qu’une correction d’hypermétropie forte puisse améliorer le nystagmus de façon tellement significative qu’aucune position de compensation éventuelle ne doit être recherchée).

La distance de fixation


Elle influence assez peu le nystagmus latent mais il arrive que certains torticolis se modifient lors du passage de la vision de loin à la vision de près. Parfois il s’agit réellement de deux zones privilégiées différentes, c’est le cas pour certains nystagmus bi-directionnels dont la dominance de fixation change lors du passage de la vision de loin à la vision de près.
Il s’agit le plus souvent d’une zone de blocage en fixation rapprochée liée à la convergence proximale. Dans ces cas on réalise un test d’adaptation prismatique en plaçant des prismes à base temporale de valeur croissante, le but étant d’identifier la valeur prismatique maximale qui peut encore être fusionnée sans accommodation (si les prismes induisent un effet accommodatif, la vision se trouble). Lorsque le patient se sent amélioré par les prismes, une opération de mise en divergence artificielle peut être programmée.

Les positions multiples


Nous avons vu qu’il y a des cas où il existe une certaine mixité entre les mécanismes de compensation de nystagmus de type différent, associé ou non à une pathologie strabique.
En ce qui concerne l’analyse des positions de blocage du nystagmus non strabique la situation est souvent compliquée par la présence d’une double position de blocage essentiellement horizontale. Un déplacement conjugué des yeux expose alors le patient au risque d’inverser définitivement son torticolis. Il est alors important d’analyser soigneusement les possibilités d’une mise en divergence.
Lorsqu’il existe un torticolis amenant les yeux en version latérale, l’occlusion de l’œil en abduction ne change pas la position de la tête. L’occlusion de l’œil en adduction par contre peut provoquer une inversion de la position de la tête, l’œil précédemment en abduction se met en adduction. Cette inversion de fixation peut être lente et prendre plusieurs heures. Elle est cependant considérée comme un élément significatif pour l’indication d’une mise en divergence. C’est la stratégie adoptée par la grande école européenne du nystagmus qu’est l’école de Giessen, sur les traces de Cüppers, Kaufmann et Gräf [4]. Ces auteurs pratiquent une chirurgie monoculaire sur l’œil qui se met le plus fortement en adduction. Le dosage de leur chirurgie est classique : 1 mm de chirurgie correspondant à la correction de 3 dioptries prismatiques. L’adaptation prismatique dans ces cas confine ici à un véritable « art de guérir  » où des maîtres cliniciens comme Spielmann, Kaufmann ou Péchereau excellent. Il est en effet possible de tirer profit d’une mise en divergence artificielle relative même lorsque le torticolis est amélioré par des prismes à base parallèle [4,8], de telle sorte que les deux mécanismes d’atténuation peuvent être utilisés. Il est alors indiqué de faire un essai en augmentant la valeur du prisme base temporale, placé devant l’œil en adduction ou de diminuer la valeur du prisme base nasale, placé devant l’œil en abduction. S’il survient alors une amélioration de la position compensatrice de la tête, ou de l’acuité visuelle, il convient de modifier le dosage de l’opération. Dans ces cas, on dosera plus fortement l’intervention pratiquée sur l’œil en adduction (recul du droit interne, résection du droit externe).
On peut aussi exploiter le pouvoir de blocage de la convergence proximale en sous-corrigeant intentionnellement un strabisme divergent comme l’a proposé Spielmann [10].

Cas particuliers : les « aveugles  » par nystagmus


Il existe bien entendu des cas où le nystagmus est secondaire à un déficit sensoriel initial (nystagmus sensoriel) mais il existe aussi des cas où le nystagmus primaire est tellement important qu’il empêche tout apprentissage de la fixation. Nous avons connu trois cas de ce type présentant tous un nystagmus de type latent mais tellement manifeste que ces patients avaient été « classés  » comme aveugles congénitaux. Deux de ces cas ont obtenu une acuité de 6 à 7/10 à chaque œil, un cas fut limité à 3/10, ce qui n’est évidemment pas mal pour un nystagmique congénital sévère. Ils ont tous bénéficié d’une chirurgie de leur strabisme (convergent dans les trois cas) associant une opération du fil sur les deux droits internes. De Decker s’est amusé à désigner cette démarche thérapeutique dans ce type de cas sous le vocable de « chirurgie pléïoptique  ». On peut véritablement parler en effet ici de rééducation chirurgicale de la fixation. Il faut évidemment éviter d’utiliser des vocables trop rapidement définitifs auprès des parents qui ne pardonnent jamais le traumatisme psychologique qu’ils ont subi.
Plus délicat est le traitement des nystagmus congénitaux multidirectionnels sans position de blocage. Des reculs paralytiques des 4 muscles droits ont été proposés, notamment par Helveston. Les résultats sont évidemment en proportion de la pathologie de départ, c’est-à-dire limités. Certains auteurs comme Roth et Péchereau y sont farouchement opposés, d’autres comme Gomez de Liano ou nous-même le pratiquons encore. Un de nos cas était monophtalme, il a par la suite pu développer un léger torticolis horizontal qui lui a permis d’exploiter valablement une acuité de 3/10.

Nystagmus et fusion


Le nystagmus congénital pur bénéficie dans la plupart des cas d’une bonne fusion initiale, souvent utile pour maintenir la rectitude des yeux après chirurgie conjuguée (compte tenu des imprécisions de dosage d’un œil à l’autre existe, quel que soit le soin qu’on apporte à la chirurgie) ou après mise en divergence artificielle.
C’est particulièrement démonstratif dans les cas de déplacement des muscles verticaux dont les dosages importants pourraient théoriquement provoquer une torsion significative. De tels cas arrivent bien entendu : non seulement ils sont rares mais ils manifestent une torsion subjective modérée et facile à traiter.
Le nystagmus latent bénéficie toujours d’un équilibre biloculaire, qu’il soit préopératoire (torticolis vertical en cas de syndrome alphabétique associé) ou postopératoire.

En résumé : sur le plan clinique


  • Exclure la présence d’une pathologie strabique précoce associée ;
  • Corriger tout défaut réfractif ;
  • Examen en vision de près (fixation dynamique : grille de Gracis) ;
  • Examen en vision de loin ;
  • Le nystagmus associé au strabisme précoce :
    • Il bat du côté de l’œil fixateur,
    • Variable selon l’œil fixateur,
    • Sa compensation monoculaire se fait toujours en adduction sur le plan horizontal,
    • Sa compensation biloculaire peut se faire dans le regard vers le haut ou vers le bas (recherche fusionnelle en cas de syndrome alphabétique associé).

  • Le nystagmus congénital non associé au strabisme :
    • Il bat dans le même sens pour les deux yeux,
    • Il peut être différent d’un œil à l’autre,
    • Sa compensation est toujours binoculaire,
    • Plusieurs positions de blocage peuvent être adoptées (en fonction de la direction du regard ou de la distance de fixation).

  • Les deux types de nystagmus se mêlent :
    • Association de mécanismes bi-oculaires et monoculaires de blocage,
    • Complexité de la séméiologie strabique associée (torsion !),
    • Résurgence de l’un ou l’autre des mécanismes de blocage en fonction des potions chirurgicales (évolution dans le temps).

Conclusion


Notre but : traiter beaucoup, comprendre tout. « Le traitement des éléments d’un torticolis complexe les uns après les autres est le plus sûr moyen de ne jamais arriver au bout du traitement  » (Annette Spielmann).

Références
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  5. Paris V. Chirurgie oculomotrice de la torsion. XXVIe Colloque de Nantes, 28 au 29 septembre 2 001 ; 151-174.
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Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010