Les nystagmus : l’amblyopie Robert LaRoche

Nystagmus et amblyopie.


Définition


Il est cliniquement souvent difficile d’établir la présence d’une amblyopie en présence d’un nystagmus, qui plus est, d’en déterminer la relation. Cet exposé porte sur le diagnostic et le traitement de déficits visuels amblyopiques accompagnés de nystagmus ; un nystagmus qui peut être la cause directe de l’amblyopie, en être la conséquence ou simplement un épiphénomène avec plus ou moins d’effet sur une amblyopie accompagnatrice, autrement dit, une association sans relation probable de cause à effet. Malheureusement la littérature sur le sujet est pauvre et l’évidence scientifique en est loin d’être satisfaisante. On doit donc se fier sur des données souvent empiriques basées sur l’expérience clinique.

Relations cause à effet


Nystagmus, cause d’amblyopie


Ici, quoi que le nystagmus soit la seule cause identifiable d’amblyopie, celle-ci n’est pas nécessairement proportionnelle à l’intensité du nystagmus mais plutôt fonction de sa stratégie de fovéation [1]. Dans l’illustration qui suit, on voit, représentés à gauche, des mouvements de refixation qui précède chaque fuite saccadique d’un nystagmus à ressort ; à droite, c’est un simple ralentissement du mouvement nystagmique pendulaire qui représente l’effort de fovéation. La vision optimum de chaque cas peut être très différente.
Donc on peut comprendre la genèse d’une amblyopie binoculaire plus ou moins symétrique causée par la déprivation de fixation fovéolaire aux deux yeux. Une déprivation qui pourra être pus ou moins asymétrique selon la nature du nystagmus : rare dans le nystagmus congénital moteur, fréquente dans le nystagmus strabique latent et « manifeste/latent  » et plus difficile à déterminer dans les nystagmus dits sensoriels.
Examinons quelques situations cliniques où l’on rencontre une amblyopie monoculaire avec nystagmus et strabisme, incluant aussi des cas où le strabisme n’est pas un facteur.

Strabisme avec nystagmus asymétrique


Cette situation est fréquente. En effet le nystagmus latent sera asymétrique dans la plupart des strabismes [2], une observation fréquemment mentionnée dans la littérature [3].

Nystagmus avec points de fixation « asymétrique »


Ici, un examen détaillé permettra de déterminer cette cause très unique d’amblyopie unilatérale associée à un nystagmus. Le scénario est fréquemment rencontré : une position vicieuse marquée de la tête correspondant à un blocage du nystagmus (position nulle) forcera une vision suboptimale par l’utilisation inefficace d’une correction réfractive, résultant en un risque d’amblyopie unilatérale. La figure ci-dessous démontre bien la situation d’un œil gauche en fixation très excentrée par rapport à la zone optique utile du verre correcteur. La pauvre image sera une cause d’amblyopie chez le jeune patient.

Anomalies organiques monoculaires ou asymétriques


Dans ces cas la mauvaise vision d’un œil est clairement associée à une lésion identifiable : par exemple, colobomes optiques ou rétiniens, myélinisation sévère de la région maculaire, cicatrices acquises rétinienne ou choroïdienne, etc. Ces lésions peuvent être la cause d’un nystagmus sensoriel. Mais dans les cas unilatéraux ou asymétriques le nystagmus plus important d’un œil introduit en effet une autre dimension à une amblyopie dite organique déjà en place.
Les situations cliniques où le nystagmus est la cause directe d’une amblyopie binoculaire impliquent un mécanisme physiopathologique facile à identifier : une fixation fovéolaire instable. On retrouvera cela dans tout nystagmus résiduel, même avec position de tête privilégiée (dit de blocage) dans les nystagmus congénitaux simples ou nystagmus manifeste/Latent de certains strabiques. Le même mécanisme se rencontre aussi suite à un traitement tardif d’une déprivation visuelle causée par une amétropie amblyogène bilatérale ou des opacités des médias (telles les cataractes infantiles).
D’autre part, les situations cliniques où le nystagmus est plutôt une conséquence de mauvaise fixation fovéolaire comprennent des pathologies impliquant les voies afférentes, prévenant ainsi une stabilisation adéquate du réflexe de fixation motrice. On retrouve dans ce groupe les monochromatismes, aniridies, albinismes, nyctalopies congénitales, et hypoplasies maculaires.

Le Nystagmus, un effet et une conséquence de de l’amblyopie


Dans ce cas, un pourrait en théorie imaginer le scénario suivant : une amblyopie, cause de mauvaise vision, entraîne une mauvaise fixation (excentrée), celle-ci ayant un effet déstabilisateur sur le système binoculaire moteur, avec comme conséquence un nystagmus asymétrique, voir à composante latente, et semblable à ce que l’on peut rencontrer dans certains strabismes. Ce phénomène est aussi décrit comme « syndrome visuomoteur monophtalmique fonctionnel [4 & 5]  » où le nystagmus peut être des plus asymétrique et même jusqu’à être décrit comme monoculaire ; par exemple, le « nystagmus monoculaire du rétinoblastome  ». Une situation clinique, elle aussi typique, est le nystagmus rencontré après une occlusion précoce agressive des aphaques infantiles.

Diagnostic


Le but d’un examen complet est de séparer l’amblyopie du nystagmus comme cause de mauvaise vision puisqu’en effet le traitement du premier peut être des plus efficace, même en présence du second. Cet examen comprend les éléments essentiels de toute anamnèse, quoique certains doivent être ciblés plus particulièrement.

Les antécédents


  • Familiaux de troubles de vision indiquant des antécédents de strabisme, dystrophies rétiniennes, albinisme etc.
  • De traitements d’amblyopie ou de strabisme : âge, occlusion plus ou moins agressive, ou chirurgies.

Les mesures d’acuité visuelle


  • Conditions binoculaires pour minimiser tout nystagmus latent ;
  • Mesure avec position de tête préférée d’abord pour optimiser la vision, puis en position primaire pour mieux évaluer l’effet d’un nystagmus responsable.
  • Mesures à distance et de près avec attention très particulière à la calibration du test utilisé de près (6). Une grande amélioration de près peut indiquer un mécanisme de blocage de nystagmus par convergence tandis qu’une vision de près diminuée peut indiquer une cause organique telle une pathologie rétinienne précoce.
  • Mesure avec considération des erreurs réfractives :
    • Lunettes,
      L’ajustement des montures et le style de la lunette sont importants à considérer, spécialement en présence d’une position de la tête anormale. Certains patients auront déjà des prismes incorporés à cause de leur nystagmus ou strabisme ; une lecture précise des lentilles correctrices s’impose donc.
    • Monture d’essai, bordures de lentilles fines,
      Toute réfraction se doit d’être précise. Même en présence d’un nystagmus, une skiascopie est tout à fait faisable. Encore une fois, à cause de positions de fixations variables et souvent asymétriques d’un œil à l’autre, toutes conditions de réfraction se doivent d’être contrôlables, voire ajustables.
    • Lentilles cornéennes,
      Dans certains cas, le port de lentilles cornéennes est la seule solution pour maximiser la vision du patient nystagmique. Elles peuvent calmer le nystagmus de leur seule présence sur les cornées, ou permettre l’élimination de l’obstacle que présentent les lunettes lors de fixation en position de blocage en adduction ou abduction sévère.

  • Mesurer la vision conventionnellement en monoculaire peut être très difficile à interpréter chez le nystagmique. Dans la plupart des cas, toute interférence avec le status binoculaire du patient va engendrer une modification de la stabilité oculomotrice, donc, créer une situation artificielle, et souvent, mener à une sous-estimation imprévisible de la vision de chaque œil. Pour minimiser cette erreur, on tentera de mesurer la vision de chaque œil avec le moins de perturbation possible par comparaison avec les conditions bi-oculaires normales du patient (e.i. : les deux yeux ouverts, et recevant une stimulation visuelle). Ceci peut se faire avec plus ou moins de succès.
    • Par embrouillement de l’œil adelphe : un + 10  ∂, ou moindre, qui suffit à obliger une fixation par l’œil testé,
    • Par écran translucide de l’œil non testé avec minimum d’opacification (filtres de Bangerter).

  • Mêmes conditions pour chaque mesure : il importe de contrôler tous les facteurs qui peuvent influencer les résultats de la mesure de vision chez les nystagmique, amblyopes ou non. La variabilité apparente des résultats dépend en effet plus souvent de celle de l’examen.
    • Un même examinateur à chaque mesure est à conseiller : familiarité avec le patient minimisant les facteurs psychologiques qui sont souvent en jeu chez les nystagmiques lors de la mesure du niveau de leur vision.
    • La luminosité ambiante et celle du test utilisé, le test lui-même, la vitesse d’exécution de la mesure, la distance de mesure, la fatigue du patient, etc., etc., sont tous des facteurs techniques importants et qui doivent être standardisés afin de permettre des mesures fiables et reproductibles. Naturellement, une qualité optimale de l’instrument de mesure est de rigueur. Eg. : présentation standardisée à progression logmar à haut contraste.

Réfraction


  • Une réfraction dynamique est de rigueur pour estimer l’effort accommodatif effectif du patient en vision de près. Certains nystagmiques ont en effet une performance anormale et bénéficieront de foyers dans leur correction pour maximiser leur vision de près. Ceci peut même diminuer une position de blocage chez certains.
  • Une cycloplégie est de rigueur, mais attention à l’axe des cylindres en regards latéraux. Il faudra donc tenir compte des conditions de fixation du patient dans la vie courante. Une skiascopie à l’aide du réfractomètre constitue une bonne référence, mais une confirmation des mesures avec une monture d’essai et des lentilles à bordures fines sont de mise pour les données finales.

Visuscopie


Hugonnier nous l’a enseigné, von Noorden nous l’a décrit clairement, et Lang nous en a rappelé l’utilité : l’examen de la fixation par la visualisation directe du fond d’œil est utile aussi chez le nystagmique. Loin de pouvoir toujours définir le motif des oscillations nystagmiques, l’examinateur consciencieux peut tout de même définir la centration de la fixation ainsi que sa stabilité en position de moindre nystagmus [7]. On peut ainsi confirmer un nystagmus latent plus intense d’un côté que de l’autre. De plus, en cas de lésions organiques, la présence d’efforts de fixation en rétine normale, même excentrique à la fovéa, peut aider à interpréter les résultats de mesure de la vision et planifier une thérapie en cas d’amblyopie, même en présence d’un nystagmus.

Brückner


Un test des plus rudimentaires mais qui, chez de petits patients non coopératifs, saura donner des renseignements utiles pour diriger les étapes suivantes d’un examen rapide et quelque peu écourté.
  • Les pupilles sont-elles normalement éclairées, les iris opaques ? On recherche ici une transillumination chez les albinos, une leucocorie d’un nystagmus unilatéral…
  • La luminosité des reflets lumineux pupillaires est-elle uniforme, symétrique ? On recherche ici des indices de troubles importants de la réfraction.

Lampe à fente


Naturellement tout examen ophtalmique de nystagmique comprend une recherche de :
  • Transillumination chez les albinos ;
  • Pannus cornéen et structure irienne anormale chez les aniridiques ;
  • Opacités importantes.

Fond d’œil


Cet aspect de l’examen comprend :
  • Une ophtalmoscopie directe qui peut facilement confirmer une pupille optiquement normale et permettre une visualisation de certains détails diagnostiques.
  • Une ophtalmoscopie indirecte avec les lentilles 90 et 20  ∂, chacune utile pour une visualisation globale ou détaillée du fond d’œil pour les détails rétiniens de même que la visualisation du nystagmus.
  • Une angiographie fluorescéinique peut être nécessaire dans les cas où une pathologie rétinienne est suspectée, sans lésion évidente au fond d’œil.
  • L’imagerie rétinienne au laser saura probablement remplacer l’angiographie chez les jeunes comme méthode moins invasive pour certains diagnostics rétiniens.

Vision des Couleurs


Toujours de mise dans l’évaluation des fonctions rétiniennes, et applicable dès le tout jeune âge, elle peut aider à déterminer la présence de troubles organiques.

L’électrodiagnostique


Elle est souvent mal utilisée et interprétée, ou même ignorée dans les cas de nystagmus et d’amblyopie :
  • Par exemple, les PEV à asymétrie croisée sont diagnostiques d’albinisme. Ceci peut être des plus utiles dans le cas d’une supposée amblyopie bilatérale marquée avec peu de nystagmus.
  • L’ERG est aussi une ressource inestimable lors de certains dilemmes diagnostiques. Par exemple, amblyopie amétropique bilatérale avec nystagmus fin et rapide vs dystrophie rétinienne type I/CSNB ? Dans ce cas, un simple enregistrement fera la part des choses. Voir la figure ci-dessous, gracieuseté du Dr F Tremblay, directeur du laboratoire d’électrodiagnostic visuel du département d’Ophtalmologie et des Sciences Visuelles de l’université Dalhousie à Halifax, Canada.
  • Finalement, l’électronystagmogramme saura nettement déterminer le ou les points de moindre nystagmus en regards de près et de loin et aider à déterminer la meilleure vision du patient.

Traitement de l’amblyopie dans les cas de nystagmus


Lorsque l’examen clinique d’un patient nystagmique confirme une, il importe de traiter cette amblyopie avec la même vigueur que dans tous les autres cas. Il faut donc appliquer les principes de bases applicables pour toute amblyopie :
  • Corriger toute erreur réfractive : tel que mentionné auparavant, outres de montures bien adaptées, des lentilles cornéennes peuvent être de mise dans les cas de position anormale de la tête afin d’optimiser la vision de chaque œil.
  • Accommodation : dans certains cas, compenser pour une accommodation défective nécessitera la prescription de bifocaux.
  • Chirurgie d’emblée : dans certains cas où une position de tête privilégiée est très marquée, l’utilisation des mesures thérapeutiques réfractives conservatrices sera impossible (eg : centres optiques vs fixation en adduction/abduction, ou anisométropie sévère). Il faudra donc penser à des mesures chirurgicales. Celles-ci peuvent adresser le problème de position de tête par déplacements musculaires oculomoteurs. Dans d’autres cas, le problème réfractif est tel qu’une approche chirurgicale directe pourrait être de mise. Ces cas chez qui même les verres de contact ont failli à la tâche ont été rares jusqu’à présent, mais avec l’expérience grandissante de certaines équipes de chirurgie réfractive chez les enfants, on peut maintenant entrevoir de nouvelles perspectives pour les cas les plus difficiles.
  • Le défi du nystagmus latent : celui-ci est augmentant en vision monoculaire, ceci suggère qu’un traitement par occlusion d’une amblyopie en sa présence devrait être contre-indiqué. Certains ont suggéré la pénalisation optique ou pharmacologique dans ces cas [8 & 9]. Mais les résultats de ces rapports sont discutables.

Cependant il a été démontré qu’une occlusion prolongée diminue l’asymétrie du nystagmus latent [10] et qui plus est, que l’occlusion à plein-temps donne de bons résultats comme traitement dans les cas d’amblyopie associés à un nystagmus latent [11]. Il reste cependant à savoir si l’on peut généraliser ces résultats à toute forme de nystagmus.

Conclusion


  • L’amblyopie existe chez les nystagmiques ;
  • Son diagnostic est souvent difficile et nécessite un examen rigoureux ;
  • Elle peut être traitée efficacement avec l’occlusion à plein-temps ;
  • Elle peut être bilatérale mais il peut y avoir anguille sous roche. Il faut toujours rechercher une cause anatomique dans ces cas.


Références
  1. von Noorden GK, Campos E. Clinical Nystagmus Characteristics in : Binocular Vision and Ocular Motility of Strabismus ; Theory and Management. Mosby, St. Louis, 2002, 510p.
  2. Spielman A. Le nystagmus Manifaste/Latent in : Clinique d’ophtalmo-pédiatrie, Vigot, Paris, 1 989 122p.
  3. Young TL, Weis JR, Summers CG, Egbert JE. The Association of Strabismic Amblyopia and Refractive Errors in Spasmus Nutans. Ophthalmology, 1 997, 104 : 112.
  4. Helveston EM et al. Unilateral Esotropia After Enucleation in Infancy. Am J Ophthalmology, 1 985, 100 : 96.
  5. Spielman A. Personal Communication 2000, in : von Noorden GK, Campos E. Clinical Nystagmus Characteristics, Binocular Vision and Ocular Motility of Strabismus ; Theory and Management. Mosby, St. Louis, 2002, 520p.
  6. von Noorden GK, LaRoche GR. Visual Acuity and Motor Characteristics in Congenital Nystagmus. Am J Ophthalmology, 1 983, 95 : 748.
  7. von Noorden GK, Campos E. Amblyopia Secondary to Nystagmus in : Binocular Vision and Ocular Motility, Theory and Management of Strabismus. Mosby, St. Louis, 2002 :254.
  8. Calcult C, Crook W. The Treatment of Amblyopia in Patients with Latent Nystagmus. Br Orthoptic Journal, 1 972, 29 : 70.
  9. Repka MX. Nystagmus : Clinical Evaluation and Surgical Management ; in : Clinical Strabismus Management. Ed : Roenbaum & Santiago. Saunders, Philadelphia ; 1999 :410.
  10. Sinays HJ, Komererell G. Effect of Prolonged Monocular Occlusion on Latent Nystagmus. Neuro-Ophthalmology, 1 992, 12 : 185.
  11. von Noorden GK, Avilla C, Sindikaro Y, LaRoche GR. Latent Nystagmus and Strabismic Amblyopia. Am J Ophthalmology, 1 987, 103 : 87.

Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010