Les nystagmus : examen d’un nystagmus manifeste latent Dominique Thouvenin

Nystagmus manifeste latent :
clinique, examen, bilan, étiologie, physiopathologie, traitement médical et chirurgical.


Introduction


Symptôme majeur du syndrome de strabisme précoce, le nystagmus manifeste latent (NML) témoigne de l’immaturité du système optostatique, resté à un stade archaïque, au même titre que l’asymétrie persistante du nystagmus optocinétique (NOC). Il est toujours associé à un strabisme précoce sans vision binoculaire. Il s’agit d’une pathologie de l’œil fixateur, rendue évidente lorsqu’on le prive du soutien pourtant imparfait de l’autre œil. Il témoigne de l’attraction vers l’adduction avec nystagmus battant vers la tempe de l’œil fixant.

Plusieurs formes cliniques sont observées


Le nystagmus est dit manifeste lorsqu’on l’observe en situation binoculaire (vision courante), latent s’il apparaît lors de l’occlusion de l’œil dévié et manifeste latent s’il augmente lors de l’occlusion de l’œil dévié.
C’est un nystagmus à ressort conjugué dont la phase rapide bat toujours vers l’œil fixateur et s’inverse au changement d’œil fixateur le plus souvent. Son amplitude s’atténue en fixation en adduction et augmente en abduction (loi d’Alexander = amplitude augmentant dans la direction de la phase rapide du nystagmus). L’acuité visuelle et le confort de fixation s’améliorent d’ailleurs dans cette direction, ce qui est souvent responsable d’un torticolis de fixation en adduction, s’inversant selon l’œil fixant (torticolis alternant dissocié de Quéré), quel que soit le type de strabisme associé, éso ou exotropie.
L’évaluation de l’acuité visuelle peut être difficile en cas de nystagmus manifeste latent. En effet, la mise en place d’une occlusion sur un œil ainsi que le fait de faire fixer en position primaire peuvent déclencher le nystagmus et faire baisser l’acuité visuelle artificiellement. L’acuité de l’œil dominant sera prise en fixation bi-oculaire libre, en laissant le patient prendre un éventuel torticolis spontané, le plus souvent en adduction de l’œil fixateur. Pour prendre l’acuité de l’œil dominé, il vaut mieux réaliser un brouillage optique de l’œil dominant par une addition d’au moins +3 dioptries et, encore une fois, laisser le patient prendre une fixation en adduction de l’œil testé.
On retrouve le Nystagmus manifeste latent dans 30 à 80 % des strabismes précoces, et une amblyopie unilatérale lui est fréquemment associée. En cas de nystagmus manifeste, une amblyopie bilatérale peut être notée comme dans le Nystagmus congénital (NC).
Une composante torsionnelle peut être associée, en général en association avec une Déviation verticale dissociée de l’œil non fixateur. Le nystagmus bat alors en incyclotorsion sur l’œil fixateur alors que l’œil non fixateur part en excyclotorsion et élévation. Cela a conduit Guyton à proposer la théorie du blocage du Nystagmus manifeste latent par un effort d’intorsion de l’Œil fixateur avec élévation réactionnelle et extorsion de l’Œil non fixateur.
Le Nystagmus manifeste latent est noté chez des patients habituellement neurologiquement sains mais serait plus fréquent en cas de retard psychomoteur associé. Il n’est pas symptomatique d’une pathologie neurologique évolutive. Son individualisation doit donc permettre le plus souvent et avec prudence d’éviter des bilans étiologiques extensifs.
Il existe parfois des associations de Nystagmus manifeste latent et de NC rendant l’analyse plus complexe.

Les études électrooculographiques


Elles ont permis depuis longtemps de confirmer les constatations cliniques. Elles montrent une phase lente de vitesse décroissante par opposition à la phase lente de vitesse croissante des NC, et une association quasi systématique à une aréactivité du Nystagmus optocinétique pour des stimulations temporo-nasales, à des anomalies dans le même sens de la poursuite oculaire (Dell’Osso, Quéré) et de la réponse en PEV aux stimuli de mouvement. Plus récemment on a précisé plusieurs formes de Nystagmus manifeste latent en fonction de l’aspect de la phase lente en situation binoculaire et un aspect variable de la phase de fovéation en fonction de l’amplitude du nystagmus.

La pathogénie du Nystagmus manifeste latent


Elle n’est pas entièrement élucidée mais certaines pistes sont ouvertes :
  • Les aires corticales traitant le mouvement à partir de l’information visuelle (V5 et aire MT) sont fonctionnelles mais travaillent de manière monoculaire.
  • Les noyaux de la voie optique (nucleus of optic tract) ne répondent qu’à une stimulation visuelle de l’œil controlatéral avec en réponse l’activation d’une phase lente de nystagmus dans le sens homolatéral au noyau. L’inactivation de ces noyaux inactive le Nystagmus manifeste latent.
  • Il est bien montré que nombre de patients monophtalmes congénitaux, mais pas tous, présentent un Nystagmus manifeste latent. Ce qui montre que des facteurs additionnels sont sans doute nécessaires pour déclencher le Nystagmus manifeste latent. Une perturbation de la localisation égocentrique et/ou de la proprioception extra-oculaire est sans doute des éléments favorisants.

Le traitement du Nystagmus manifeste latent


Il consiste avant tout à ne pas priver le patient de la zone de confort visuel, soit l’adduction (les secteurs binasaux sont donc particulièrement déconseillés dans ce cas) et de limiter si possible les périodes d’occlusion unilatérale en favorisant les pénalisations optiques. L’appréciation de l’acuité visuelle sera d’ailleurs réalisée en brouillant optiquement l’œil dévié plutôt qu’en le cachant et on notera la différence entre l’acuité visuelle prise en fixation droit devant et en adduction.
Sur le plan chirurgical, le but est de ramener la position de confort visuel (ie l’adduction) en position primaire et de freiner l’attraction vers l’adduction. L’opération du fil du ou des droits médiaux trouve ici une indication de choix éventuellement en association aux interventions conventionnelles selon les tests peropératoires.
Le pronostic chirurgical des strabismes précoces quand ils sont associés à un Nystagmus manifeste latent est moins bon et nécessite souvent plus de temps opératoire pour réussir à stabiliser le strabisme.

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Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010