Traitement médical des nystagmus : déséquilibre vestibulaire (central ou périphérique),
nystagmus alternant périodique, nystagmus battant vers le bas,
nystagmus battant vers le haut, baclofène, gabapentine et mémantine.
Introduction
Un des buts cardinaux du système oculomoteur est de stabiliser l’image perçue sur la rétine (en particulier sur la fovéola). Tous les mouvements oculomoteurs anormaux y compris les nystagmus congénitaux et acquis, ont en commun une instabilité de l’image rétinienne. Le décalage de l’image rétinienne perçue est accompagné d’une dégradation de l’acuité visuelle à partir d’une vitesse de 5 degrés par seconde. Ces dernières années, les notions sur la physiopathologie des nystagmus acquis sont devenues plus complètes ; ce qui a permis de développer des traitements médicamenteux pour quelques formes de nystagmus. Ce sont surtout les nystagmus acquis qui peuvent être traités pharmacologiquement. Les étiologies d’un nystagmus acquis peuvent être les suivantes :
- Déséquilibre vestibulaire (centrale ou périphérique) ;
- Trouble de l’intégration neuronale, c’est-à-dire lésion de certains noyaux comme le noyau prépositus hypoglossi (NPH), le noyau vestibulaire médian (NVM) situés dans le bas du tronc cérébral non loin du noyau du VI, le noyau de Cajal (situé dans le mésencéphale) et, bien entendu, le cervelet.
- Trouble du générateur de saccades, par exemple une lésion de la FRP (formation réticulaire parapontine), responsable de la génération des saccades horizontales ou une lésion du riMLF (noyaux interstitiel et rostral du fascicule longitudinal médian) responsable de la génération des saccades verticale et torsionnelle.
- Autres.
Le but thérapeutique du traitement des nystagmus est de réduire l’intensité (c’est-à-dire la fréquence et/ou l’amplitude du nystagmus) quelle qu’en soit la cause.
Nystagmus alternant périodique
Le nystagmus alternant périodiquement (NAP) est un nystagmus dont la physiopathologie a été bien précisée. Il s’agit d’un nystagmus horizontal parfaitement conjugé qui change de direction toutes les 90 à 120 secondes. Chacune de ces phases est séparée par une pause de quelques secondes pendant laquelle les troubles du patient, en occurrence l’oscillopsie et la baisse de l’acuité visuelle, diminuent considérablement. Le cycle du nystagmus n’est pas influencé par la fixation. Des stimulations vestibulaires (rotation de la tête) peuvent affaiblir ou arrêter le nystagmus. Le NAP peut être associé à un nystagmus battant vers les bas et à des « square wave jerks ».
Le diagnostic du NAP est simple et purement clinique. Il est important de regarder le patient assez longtemps pour ne pas manquer le caractère alternant du nystagmus.
Modèle animal du NAP
Le NAP est un nystagmus pour lequel il existe un modèle animal. Si on détruit le nodulus et l’uvula du cervelet d’un macaque (structures du système vestibulo-cérébelleux qui est la partie la plus ancienne du cervelet), on génère chez cet animal, un syndrome qui inclut un nystagmus alternant périodique. On obtient également un trouble du réflexe vestibulo-oculaire qui se manifeste par une réponse prolongée de ce réflexe. De plus, l’animal est incapable de supprimer son nystagmus post-rotatoire par une inclinaison de la tête.
Hypothèse physiopathologique du NAP
Pour comprendre les effets d’une lésion (expérimentale) du nodulus et de l’uvula, il est utile de se rappeler quelques données physiologiques et d’un phénomène que les Anglo-Saxons appellent le « velocity storage (la mémoire de la vitesse) ». Si dans l’obscurité totale on assied quelqu’un sur une chaise tournante et qu’on commence à le faire tourner, on provoque une réponse vestibulaire qui consiste en un nystagmus à ressort qui bât dans la direction de la rotation de la chaise (nystagmus rotatoire). Si on continue à faire tourner la chaise à une vitesse constante, ce nystagmus diminue et à un moment donné il disparaît complètement. En arrêtant brusquement la rotation de la chaise, on obtient une réponse analogue en sens inverse (nystagmus post-rotatoire). Ce qui est remarquable, c’est que les nystagmus rotatoire et post-rotatoire sont encore présents pendant une période où il n’est plus possible d’enregistrer un signal vestibulaire au niveau des cellules ciliées de l’oreille interne ou des nerfs vestibulaires. Autrement dit, le signal vestibulaire est conservé quelque part dans le cerveau et le lieu de cette conservation se situe dans les noyaux vestibulaires. Ces noyaux vestibulaires sont sous le contrôle d’un trajet inhibiteur qui a pour origine les cellules de Purkinje du nodulus. En détruisant le nodulus on désinhibe le mécanisme du « velocity storage », provoquant un NAP. Le NAP peut être interprété comme une adaptation fruste et répétitive à cette prolongation pathologique du signal vestibulaire.
En bref le NAP est l’expression d’un trouble de la préservation du signal vestibulaire (« velocity storage ») au niveau des noyaux vestibulaires (3, 6, 11).
Contexte clinique
Le NAP peut se manifester dans les malformations de Chiari, la sclérose en plaque, les dégénérescences cérébelleuses, la maladie de Creutzfeld-Jacob et lors d’un traitement avec médicaments anticonvulsifs. Il a été décrit comme un signe d’intoxication de lithium et comme un trouble congénital.
Thérapie
Des neurones gabaminergiques jouent un rôle fondamental dans l’inhibition du nodulus des noyaux vestibulaires. Le baclofène qui est un agoniste des récepteurs de GABA-B peut réduire ou même abolir le NAP. Pour des raisons inconnues, le baclofène est efficace dans le NAP acquis mais pas dans le NAP congénital (3, 7).
Le nystagmus battant vers le bas
Le nystagmus battant vers le bas est un nystagmus à ressort qui est présent dans beaucoup d’affections du cervelet. Typiquement ce nystagmus est accentué dans le regard latéral et souvent il ne se manifeste que dans le regard excentrique. Il est peu influencé par la fixation. Par contre la convergence a une influence variable sur l’intensité du nystagmus. Le nystagmus battant vers le bas peut être aggravé, diminué ou même supprimé par la convergence. Il est souvent associé à d’autres signes d’une lésion vestibulo-cérébelleuse.
Modèle animal
Pour le nystagmus battant vers le bas il existe également un modèle animal (12). Si, chez un macaque, on détruit le flocculus et le paraflocculus (comme le nodulus, ce sont des structures de la partie vestibulaire du cervelet), on peut générer un syndrome qu’on appelle le syndrome du flocculus et du paraflocculus. Ce syndrome est caractérisé par un nystagmus battant vers le bas, un nystagmus du regard excentrique et une glissade à la fin d’un mouvement saccadique. Des mouvements de poursuite pathologiques et une mauvaise adaptation du réflexe vestibulaire font également partis de ce syndrome.
Physiopathologie
D’un point de vue physiopathologique, on peut expliquer le nystagmus vers le bas par un déséquilibre des afférences vestibulaires qui proviennent des canaux semi-circulaires antérieurs et postérieurs. Une stimulation des canaux antérieurs est accompagnée d’un mouvement oculaire vers le haut et vice-versa ; une stimulation des canaux postérieurs génère un mouvement oculaire vers le bas. Il est établi que les afférences vestibulaires du canal antérieur et non celles du canal postérieur, sont sous un contrôle inhibiteur du cervelet. Ce contrôle inhibiteur est effectué par les cellules de Purkinje localisées dans le flocculus et le paraflocculus (10). Cette donnée physiologique est en accord avec l’observation clinique que les pathologies cérébelleuses avec des lésions sur la ligne médiane du cervelet sont souvent associées à un nystagmus battant vers le bas, mais jamais avec un nystagmus battant vers le haut.
La dominance des afférences du canal semi-circulaire antérieur par rapport aux afférences du canal postérieur s’explique par une diminution de l’activité des cellules de Purkinje (localisées dans le flocculus et paraflocculus) par désinhibition des afférences du canal antérieur.
Contexte clinique
Devant un nystagmus du regard battant vers le bas, il faut toujours penser à une anomalie dans la zone de transition cranio-cervicale comme une anomalie de Chiari type I. Les autres étiologies peuvent être une sclérose en plaques, une dégénérescence cérébelleuse, un infarctus, une intoxication avec un médicament antidépresseur (surtout le lithium, l’amiodarone), et une hydrocéphalie. Cette liste est loin d’être complète.
Thérapie
Contrairement au nystagmus alternant périodique, le traitement médicamenteux du nystagmus battant dans le regard vers le bas n’a pas, pour l’instant, été étudié chez l’animal. En clinique un traitement médicamenteux peut être effectué par deux classes de substances.
Il y a des rapports divergents concernant l’efficacité des substances gabaminergiques en particulier le baclofène. Le baclofène a été très prôné par le groupe de Dietrich (5) mais son efficacité n’a pas été retrouvée dans une autre étude prospective et multicentrique (1). Le clonazépam doit avoir une action bénéfique pour un dosage de 1 à 2 mg avec un effet sédatif secondaire plus ou moins négligeable (4).
Il y a des études qui rapportent une efficacité des substances anticholinergiques plus précisément de la scopolamine et de la benzatropine. Le désavantage d’un tel traitement est le fait que ces substances doivent être administrées par voie intraveineuse (2).
La gabapentine qui est un médicament qui augmente la concentration de l’acide gamma-aminobutyrique est inefficace dans le traitement du nystagmus battant vers le bas (1).
Récemment, il a été trouvé que la 3,4-diaminopyridine, une substance qui augmente la décharge des cellules de Purkinje, réduisait l’intensité du nystagmus vers le bas (10). Rappelons que dans ce nystagmus, il y a un déséquilibre en faveur des mouvements oculaires dirigés vers le haut par rapport aux mouvements oculaires dirigés vers le bas et que seules les afférences vestibulaires des canaux antérieurs qui sont responsables des mouvements oculaires dirigés vers le haut sont sous un contrôle inhibiteur du cervelet qui est effectué par les cellules de Purkinje. Une augmentation de la décharge de ces cellules de Purkinje diminue le déséquilibre des afférences vestibulaires provenant des canaux antérieurs et postérieurs.
Le nystagmus battant vers le haut
Ce nystagmus est beaucoup plus rare que le nystagmus précédent. Un nystagmus battant vers le haut peut se manifester dans des pathologies diverses au niveau de tronc cérébral. Physiopathologiquement il y a une dominance des afférences du canal semi-circulaire postérieur par rapport aux afférences du canal antérieur. Étymologiquement on postule une lésion au niveau du brachium conjunctivum et du tegmentum ventral. Il y a quelques rapports qui recommandent le baclofène comme étant efficace dans le traitement des nystagmus battant vers le haut. Cela suffit pour donner une recommandation thérapeutique générale.
Nystagmus pendulaire acquis (NPA)
Le nystagmus pendulaire acquis est un nystagmus qui, par rapport à d’autres nystagmus, a une amplitude relativement basse et une fréquence relativement haute. Ce nystagmus est souvent associé à des oscillopsies et à des réductions de l’acuité visuelle qui sont très prononcées.
Modèle animal
Contrairement aux nystagmus alternant périodiquement et au nystagmus vers le bas il n’existe pas de modèle animal pour le nystagmus pendulaire acquis.
Notions physiopathologiques
On sait peu de chose sur la physiopathologie de ce nystagmus. Les rapports cliniques et l’IRM ont fait postuler des lésions des structures au niveau de la ligne médiane du cervelet et à proximité des noyaux oculomoteurs.
Contexte clinique
On trouve ce nystagmus chez des patients qui souffrent d’une sclérose en plaque ou dans d’autres conditions qui ont en commun une démyélinisation des neurones comme la toxicomanie par respiration du toluène et le syndrome de Pelizaeus-Merzbacher.
Thérapie
Étant donné que le nystagmus pendulaire acquis est très handicapant pour les patients, on a beaucoup recherché un médicament qui améliorait cette condition.
La mémantine, un médicament qui est un antagoniste de l’action du glutamate, a été trouvée comme efficace dans une étude. Le médicament qui a été récemment proposé dans le traitement des NPA est la gabapentine. En bref, ce médicament augmente la concentration de l’acide gamma-aminobutyrique. Alors que dans la même étude le baclofène a été trouvé comme étant inefficace (1).
Finalement la scopolamine, une substance anticholinergique qui doit être administrée par voie intraveineuse, a réduit les oscillopsies et a augmenté l’acuité visuelle chez tous les patients d’une étude prospective en double insu (8).
Conclusion
Nous sommes encore loin de pouvoir offrir un traitement médicamenteux à la fois efficace et sans effet secondaire pour chaque patient ayant un nystagmus acquis, mais nous sommes tout de même capables d’améliorer leur état dans plusieurs situations. Un compte rendu actuel y compris des propositions de dosage est contenu dans un travail récent (9).
Références
- Averbuch-Heller L et al. A double blind contrôle study of gabapentin and baclofen as treatment for acquired nystagmus. Ann Neurol 1997, 818-825.
- Barton JJ et al. Muscarinic antagonists in the treatment of acquired pendular nystagmus and downbeat nystagmus. A double blind randomized trial of three intravenous drugs. Ann Neurol 1994, 319-325.
- Cohen B et al. Baclofen and velocity storage : A modèle of the effets of the drug on the vestibulo-ocular reflex in the rhesus monkey. JAMA 1987, 60-62.
- Currie JN et al. The use of clonazepam in the treatment of nystagmus induced oscillopsia. Ophthalmology 1986, 924-923.
- Dietrich M. et al. The effets of baclofen and cholinergic drugs on upbeat and downbeat nystagmus. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1991, 627-632.
- Furman JM et al. Vestibular function in periodic alternating nystagmus. Brain 1990, 1425-1439.
- Halmagyi GM et al. Treatment of periodic alternating nystagmus. Ann Neurol 1980, 609-611.
- Starck M. et al. Drug therapy for acquired pendular nystagmus in multiple sclerosis. J Neurol 1997, 9-16.
- Straube A et al. EFNS task force- therapy of nystagmus and oscillopsia. European Journal of Neurology 2004, 83-89.
- Strupp M. et al. Treatment of downbeat nystagmus with 3,4-diaminopyridine. Neurology 2003, 165-170.
- Waespe W et al. Dynamic modification of the vestibulo-ocular reflex by the nodulus and uvula. Science 1985, 199-202.
- Zee DS et al. Effects of ablation of flocculus and paraflocculus on eye movements in primates. J Neurophysiol 1981, 878-899.
Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010