Introduction
J’espère que les lecteurs ne m’en voudront pas de rappeler ici quelques notions très élémentaires en matière de réfraction médicale, même si ces notions ont été largement enseignées et sont censées avoir été apprises de tous. Elles sont au centre de notre pratique ophtalmologique. Pour ne prendre qu’un seul exemple, j’estime que la réfraction représente 50 % de l’activité en pratique strabologique et orthoptique.
Quelle est la norme réfractive ? Est-ce l’emmétropie ? Celle-ci est-elle vraiment l’exacte une moyenne, établie par tranche d’âge sur de larges séries de sujets normaux ? Quelles sont les limites du 95e percentile définissant les limites de la normale ?
Mais nous voulons nous limiter ici à des considérations purement optiques pour décrire, non la norme réfractive et ses limites, mais les différentes variantes de l’optique oculaire.
L’emmétropie
L’emmétropie est un état où la puissance du dioptre oculaire est en parfaite adéquation avec la longueur axiale de l’œil. La longueur axiale peut varier d’un œil emmétrope à un autre, mais dans tous les cas la puissance du dioptre oculaire est parfaitement ajustée et vis versa.
La réfractive normale moyenne (l’emmétropie ?) représente une moyenne biologique. La distribution des valeurs réfractives autour de la moyenne est analogue à une distribution gaussienne ; elle est en fait la résultante de l’addition de plusieurs distributions gaussiennes non indépendantes (courbures cornéennes, courbure sclérale, courbures cristalliniennes, longueur axiale).
L’œil emmétrope voit de façon optimale à l’infini sans accommoder ; son punctum remotum est à l’infini. En vision rapprochée, il doit accommoder de l’inverse de la distance à laquelle il fixe ; le point le plus rapproché de vision nette, le punctum proximum, est strictement fonction de l’âge du sujet. L’accommodation peut être maintenue de façon prolongée jusqu’aux deux tiers de sa capacité maxima.
Les amétropies
Lorsque les conditions de l’emmétropie ne sont pas réalisées, l’œil est dit amétrope : la puissance du dioptre oculaire n’est pas en adéquation avec la longueur axiale de l’œil ; le dioptre oculaire est soit trop puissant, soit trop faible par rapport à la longueur axiale de l’œil. L’amétropie peut être stigmate, c’est-à-dire de révolution (identique dans ses méridiens), ou astigmate. Les amétropies sont l’hypermétropie et la myopie, associées ou non à un astigmatisme.
L’hypermétropie
L’œil est hypermétropie lorsque sa longueur axiale est trop courte par rapport à la puissance de son dioptre ou la puissance de son dioptre trop faible par rapport à sa longueur axiale. Le punctum remotum est au-delà de l’infini. Le punctum proximum, à âge égal, est plus éloigné en proportion que celui d’un œil emmétrope.
Pour voir net à l’infini, l’œil hypermétrope a la possibilité d’augmenter la puissance de son dioptre en accommodant et de compenser ainsi son hypermétropie. Il atteindra alors une acuité visuelle normale à l’infini sans correction. En vision rapprochée et sans correction, il devra accommoder de la quantité déjà nécessaire pour voir net à l’infini (qu’on pourrait qualifier d’accommodation à l’origine) plus de la quantité nécessaire pour voir net à la distance à laquelle il fixe. L’œil hypermétrope est donc en permanence en situation de suraccommodation. Celle-ci n’est cependant possible que jusqu’à un certain degré d’hypermétropie. Cette limite recule lorsque le sujet avance en âge ; elle devient d’abord sensible en vision rapprochée, puis progressivement en vision de plus en plus éloignée. Lorsque la compensation de l’hypermétropie par une accommodation supplémentaire ne peut pas ou plus être complète, l’acuité visuelle est diminuée.
On appelle hypermétropie obligatoire, la partie de l’hypermétropie qu’il faut corriger pour que l’œil voie 1.0 à l’infini (figure n° 1). La partie de l’hypermétropie comprise entre l’hypermétropie obligatoire et l’hypermétropie maxima est appelée hypermétropie facultative. L’hypermétropie obligatoire plus l’hypermétropie facultative représente l’hypermétropie totale ou manifeste. Mais on n’est jamais tout à fait sûr qu’il n’existe pas en outre une hypermétropie latente, non révélée en l’absence de cycloplégie et parfois même sous cycloplégie ?
L’hypermétropie se corrige par des lentilles convergentes de lunettes ou de contact. La correction totale de l’hypermétropie correspond à la lentille la plus forte avec laquelle l’acuité visuelle de loin est maxima, étant entendu que l’on a pris soin de rechercher l’hypermétropie totale.
En vision de près, l’œil hypermétrope non corrigé doit faire un effort accommodatif supplémentaire de la valeur de son hypermétropie. Corrigé par un verre de lunette, il doit également faire un effort accommodatif plus grand que celui que ferait un œil emmétrope pour voir net un objet placé à la même distance. En effet si l’on considère que son optique est insuffisante, qu’elle représente donc un défaut réfractif négatif, celle-ci peut être assimilée à une lentille négative. Avec le verre de lunette placée devant l’œil, elle forme de ce fait une lunette de Galilée (figure n° 2) ; or une telle lunette rapproche l’image de l’objet fixé (à travers le verre de lunette, l’œil ne voit pas l’objet lui-même, mais voit l’image de l’objet donnée par le verre correcteur), ce qui oblige l’œil hypermétrope à accommoder davantage pour une distance donnée de l’objet. Ce rapprochement n’est guère sensible pour les hypermétropies courantes, faibles à moyennes ; elle le devient pour une hypermétropie forte et ce d’autant plus que la distance œil verre est plus grande. En pratique il faut en tenir compte pour la correction de la presbytie en cas d’hypermétropie forte et en cas d’anisohypermétropie (figure n° 5). Avec une lentille de contact, ce rapprochement est négligeable.
La dimension de l’image rétinienne est agrandie si l’hypermétropie est corrigée par un verre de lunettes ; elle l’est d’autant plus que le verre est plus puissant et placé plus loin de l’œil ; l’acuité visuelle s’en trouve améliorée. Avec une lentille de contact, l’image reste à peu près inchangée.
La myopie
L’œil est myope lorsque sa longueur axiale est trop longue par rapport à la puissance de son dioptre ou la puissance de son dioptre trop forte par rapport à sa longueur axiale. Le punctum remotum est en deçà de l’infini, à une distance correspondant à l’inverse du degré de la myopie. Le punctum proximum, à âge égal, est plus rapproché en proportion que celui d’un œil emmétrope.
Pour l’œil myope il n’y a aucune compensation possible de sa myopie en vision de loin. L’acuité visuelle de loin sans correction est en apparence diminuée ; en réalité, l’œil myope a une acuité visuelle potentielle, qu’il ne peut pas utiliser. Le punctum remotum (c’est-à-dire le point le plus éloigné où l’œil myope non corrigé a une acuité visuelle de 1.0) est à une distance de l’œil correspondant à l’inverse du degré de la myopie. En vision rapprochée, l’œil myope non corrigé aura besoin d’un effort accommodatif moindre qu’un œil emmétrope pour une même distance de fixation.
La correction totale de la myopie correspond à la lentille divergente la plus faible avec laquelle l’acuité visuelle de loin est maximale (figure n° 3).
En vision rapprochée, l’œil myope non corrigé est en permanence en situation de sous-accommodation. Corrigé par un verre de lunettes, il fait également un effort accommodatif moindre que celui que ferait un œil emmétrope pour voir net un objet placé à la même distance. En effet si l’on considère que son optique est trop puissante, qu’elle représente donc un défaut réfractif positif, celle-ci peut être assimilée à une lentille positive. Avec le verre de lunette placée devant l’œil, elle forme ainsi une lunette de Galilée inversée (figure n° 4). L’image de l’objet fixé sera de ce fait plus éloignée que l’objet lui-même. L’œil myope pourra donc moins accommoder, et ce d’autant plus que la myopie est plus forte et que la distance œil verre est plus grande (figure n° 5). Avec une lentille de contact, cet éloignement de l’image devient négligeable.
La dimension de l’image rétinienne est diminuée si la myopie est corrigée par un verre de lunettes ; elle l’est d’autant plus que le verre est plus puissant et placé plus loin de l’œil ; l’acuité visuelle s’en trouve diminuée. Avec une lentille de contact, l’image reste à peu près inchangée ; c’est pourquoi l’acuité visuelle des myopes est meilleure avec des lentilles de contact qu’avec des lunettes.
L’astigmatisme
L’œil est astigmate lorsque la puissance de son dioptre varie selon le méridien. Si l’astigmatisme est régulier, les méridiens, ou axes de l’astigmatisme, correspondant respectivement à la puissance réfractive minima et à la puissance réfractive maxima sont perpendiculaires l’un par rapport à l’autre. Ils peuvent être verticaux et horizontaux, ou tous les deux obliques.
Lorsque le méridien vertical est plus réfringent, c’est-à-dire moins hypermétrope ou plus myope, que le méridien horizontal, on dit que l’astigmatisme est conforme à la règle. Lorsqu’au contraire, le méridien vertical est moins réfringent, c’est-à-dire plus hypermétrope ou moins myope, que le méridien horizontal, on dit que l’astigmatisme est inverse à la règle. Lorsque les axes de l’astigmatisme sont obliques, on dit que l’astigmatisme est oblique.
L’un des méridiens peut être emmétrope et l’autre hypermétrope ou myope ; on parle alors d’un astigmatisme hypermétropique ou myopique simple. Lorsque les deux méridiens sont soit hypermétropes, soit myopes, on parle d’astigmatisme hypermétropique ou myopique composé. Lorsque l’un des méridiens est hypermétrope et l’autre myope, on parle d’astigmatisme mixte.
Lorsque les courbures cornéennes sont régulières, c’est-à-dire que l’astigmatisme est régulier, mais que les deux axes ne sont pas perpendiculaires l’un par rapport à l’autre, on dit que l’astigmatisme est bi-oblique. On ne parle d’astigmatisme irrégulier que lorsque les courbures de chaque méridien sont irrégulières.
Un faisceau de rayons parallèles traversant un système optique astigmate se focalise sur deux lignes focales perpendiculaires l’une par rapport à l’autre ; celle correspondant au méridien le plus réfringent est plus proche du système optique et perpendiculaire à ce méridien ; celle correspondant au méridien le moins réfringent est plus éloignée du système optique et également perpendiculaire à ce méridien (figure n° 6).
Lorsque l’astigmatisme est léger, l’œil astigmate non corrigé cherche à tirer le meilleur profit de sa situation. Il privilégie, s’il le peut, les lignes verticales qui tiennent une place prépondérante dans notre environnement pour parvenir à une acuité visuelle subnormale ; il peut, par exemple, recourir à un surcroît d’accommodation en cas d’astigmatisme hypermétropique et conforme à la règle, ou utiliser le méridien horizontal même s’il est le plus myope en cas d’astigmatisme myopique pour la vision de près. Cet effort explique les troubles dont se plaint le patient (douleurs oculaires, asthénopie, rougeur oculo-palpébrale etc.). Lorsque l’astigmatisme est marqué, aucune compensation n’est possible ; le patient se plaint de mal voir ; ce serait un mauvais service à lui rendre que de sous-corriger cet astigmatisme, car on serait ramené au cas de l’astigmatisme léger avec le cortège de troubles indiqués ci-dessus.
La correction totale de l’astigmatisme correspond au cylindre le plus faible donnant la meilleure acuité visuelle.
L’anisométropie et l’aniséïconie
Pour conclure, quel doit être la différence de réfraction entre les deux yeux pour que l’on puisse parler d’anisométropie ? En pratique, on parle d’anisométropie lorsque celle-ci provoque des troubles visuels.
Une anisométropie de 0,25 ∂ provoque une aniséïconie de 0,50 %. L’aniséïconie reste tolérable jusqu’à 5 %, ce qui place la limite de l’anisométropie à 2,5 ∂.
En réalité, cette question est à la fois plus complexe et plus simple. L’aniséïconie dépend d’abord de la différence de dimension des images rétiniennes. Mais cette différence peut être tempérée par la différence de densité des photorécepteurs ; si cette densité est plus faible, en cas de myopie marquée, par exemple, l’image rétinienne, bien que plus grande, n’excitera pas un nombre sensiblement plus élevé de photorécepteurs. Et finalement, le cerveau va apprendre à interpréter les messages différents en provenance des deux yeux comme des messages de même dimension.
Ainsi, un enfant qui, dès son plus jeune âge, s’est adapté à son aniséïconie, ne sera-t-il jamais gêné par elle. Mais il le sera pour son plus grand malheur, si au cours de son existence, on devait s’aviser de corriger cette aniséïconie. Tout changement de l’iséïconie à l’aniséïconie ou de l’aniséïconie à l’iséïconie peut entraîner des troubles visuels irréversibles.
N’oublions jamais que la vision est binoculaire !
Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010