Aphaquie et pseudophaquie Charles Rémy
Introduction

L’œil se comporte comme une lentille de soixante-cinq dioptries faisant converger les images d’objet à l’infini à une vingtaine de millimètres sur sa rétine. Cela est possible grâce à la somme de deux lentilles de forte puissance, la cornée qui en assure les deux tiers, et le cristallin responsable d’un dernier tiers modulable grâce à l’accommodation modulant la mise au point selon la distance.
Il existe une harmonie, appelée emmétropisation, entre rayon de courbure cornéen, puissance du cristallin et longueur de l’œil, permettant une parfaite focalisation rétinienne.

Rappel d’optique physiologique

L’étude optique de l’œil dans son intégralité est une gageure; les dioptres qui le constituent sont trop nombreux; aussi par souci de simplification, divers modèles « d’œil réduit » ont été proposés.
Ces réductions imposent des approximations dans les calculs. Une approximation ou une simplification est acceptable dans la mesure où l’erreur qu’elle introduit est inférieure à l’incertitude de la mesure sur l’élément considéré.
Par exemple, les deux plans principaux image et objet de la cornée seront confondus, la distance qui les sépare étant inférieure à un demi-millimètre
; l’indice interne de l’œil, cristallin excepté, sera voisin de celui de l’humeur aqueuse (1,34), lui-même proche de celui de l’eau (1,33).

L’œil réduit le plus simple. Il se compose d’une forte lentille convergente de puissance 65 ∂ (figure n° 1); avec un indice moyen de 1,34 son rayon de courbure serait de 5,3 mm.
L’œil réduit classique. Il inclut la cornée de rayon (7,7 mm soit 44 ∂), le cristallin (21 ∂), la longueur de l’œil (23 mm), la distance entre face postérieure de la cornée et plan principal objet (figure n° 2).
Un œil réduit plus complet. Il propose le détail des positions des plans principaux des différents éléments optiques de l’œil (figure n° 3).

Les différents paramètres chiffrés sont la puissance du dioptre cornéen antérieur PK, la puissance du cristallin PL et la longueur axile L de l’œil, ainsi que la position sur l’axe antéro-postérieur des plans principaux de la cornée, du cristallin ainsi que de leur résultante, les plans principaux de l’œil.
La distance entre plan principal image et rétine s’appelle la distance focale postérieure (DFP) qui un paramètre essentiel dans l’étude de l’aniséïconie en particulier (figures n° 4 et 5).
Si chaque œil emmétrope possède une longueur axile et un rayon de courbure qui lui sont propres et variables d’un sujet à l’autre, la focalisation des images se fait toujours sur sa rétine
: il existe donc une relation harmonieuse entre ces mensurations qu’on appelle le processus d’emmétropisation.
L’amétropie serait un échec à ce processus. Dans l’amétropie, ce processus serait pris en défaut.

Puissance optique de l’œil

La formule de Gullstrand, associant deux lentilles épaisses et précédemment décrite, sert à relier les différents paramètres.
La puissance du dioptre cornéen antérieur de rayon R est donnée par la formule des dioptres sphériques
: PK = (n-1)/R, où n est l’indice de l’humeur aqueuse, soit 1,34 (figure n° 6). Il est tenu compte dans ces calculs de la puissance du dioptre cornéen postérieur (-6 ∂).
La formule du dioptre sphérique est reportée sur l’arceau de l’ophtalmomètre de Javal, où, par exemple, pour un rayon de 7,5 mm, on lit une puissance de 45 ∂.
Si P est la puissance totale de l’œil, et PL celle de la lentille cristallinienne (cristallin ou implant), son expression devient
: P = PK +PL -d×PK×PL,
Avec d, distance réduite séparant les plans principaux de la cornée à ceux du cristallin. On appelle une distance réduite une distance géométrique réelle divisée par la valeur de l’indice de réfraction du milieu où circule la lumière.
La puissance globale de l’œil s’exprime par l’inverse de sa distance focale postérieure réduite, soit n/DFP, ou encore n/(L -e), où e est la distance entre les plans principaux cornéens et globaux.
En remplaçant les différents paramètres par leur valeur, on en déduit la puissance du cristallin
:
PL = [1,34×R -0,35(L-e)]/[(L -e)×(R -0,34×d)]
Cette formule, introduite dans un logiciel de calcul, sert à déterminer la puissance d’un implant de chambre postérieure en fonction du rayon R de la cornée et de la longueur axile L de l’œil, les paramètres d et e dépendant de L.
Comme tout œil emmétrope, les paramètres L et R varient, ainsi que les paramètres d et e dont les valeurs sont résumées dans le tableau 1. e et d varient selon la longueur L de l’œil (en mm).

L

e

d

21 < L < 22

e = 1,56

d = 2,61

22 < L < 23

e = 1,66

d = 2,80

23 < L < 24

e = 1,74

d = 2,91

24 < L < 25

e = 1,88

d = 2,97

NB: dans l’œil réduit de Legrand: R = 7,78 mm, L = 23,51 mm, n = 1,34, e est compris entre 1,6 et 1,9 mm, et d réduit vaut 2,75 mm.


Les variations de ces différents paramètres influent la puissance globale de l’œil:
1 mm de longueur axile modifie la puissance de l’œil de 3,5 ∂, et 0,1 mm sur le rayon de courbure de 0,3 ∂.
Une variation d’une dioptrie de l’implant modifie la puissance résultante de 0,8 dioptrie.
Il est possible d’établir par régression statistique des corrélations entre les paramètres R, L et P
L (tableau 2) :

• L = 8,48×R -42,54 (r2 = 0,975);
• L = -0,48×P
L +33,46 (r2 = 0,998).

D’où:

• PL = 13,9×R -3,7×L et PL = -17,66×R +158,33;
• R en millimètres et P
L en dioptries.

Cette dernière formule sera mise en profit lorsque la longueur axile ne peut être mesurée.

Aphaquie

L’aphaquie réalise la perte du cristallin; ce manque de puissance optique rend l’œil très hypermétrope, comme la vision d’un plongeur dans l’eau sans son masque.
La correction de l’aphaquie se fait de trois manières (figure n° 7) :

• Par correction aérienne d’un verre correcteur de dix à douze dioptries;
• Par correction par lentille de contact au sommet de la cornée
;
• Par implantation d’une forte lentille in situ dans l’œil en chambre antérieure devant l’iris, ou chambre postérieure en arrière de l’iris, dans le sac cristallinien d’origine ou le sulcus ciliaire.

La correction par verre correcteur convergent de forte puissance (10 à 15 ∂) déplace considérablement les plans principaux résultants vers l’avant de l’œil, augmentant ainsi la taille de l’image rétinienne (+30 %), en rétrécissant le champ de vision avec scotome annulaire dû à l’effet prismatique du verre convergent.
La notion de distance verre/œil devient capitale à connaître (figure n° 7).
La correction par lentille de contact annule la distance verre/œil et place les plans principaux de l’œil au sommet de sa cornée; l’image est moins magnifiée (+8 %) et le champ de vision se normalise sans scotome annulaire.

La pseudophakie

La pseudophakie consiste à remplacer le cristallin d’origine par une lentille de même puissance in situ. L’emplacement idéal serait la chambre postérieure.
La puissance optique de l’œil est restaurée, l’aniséïconie supprimée, mais l’accommodation n’est toujours pas possible si l’implant est rigide et monofocal.
Les implants multifocaux sont un palliatif à la tolérance aléatoire, en attendant les implants souples intracapsulaires restaurant une fonction accommodative idéale comme celle d’un cristallin jeune et souple se déformant à sa guise.
Le calcul de la puissance de l’implant est délicat car il dépend de sa position le long de l’axe optique.
L’idéal serait de replacer l’œil sans ses conditions originelles. Cela semble une évidence pour un œil emmétrope.
La question se complique en cas d’amétropie, voire d’anisométropie.
D’une façon générale, il convient de ne pas trop s’éloigner des conditions d’origine. Si le sujet était porteur de lentilles, l’emmétropisation peut être proposée.

• En cas d’anisométropie, il faut respecter le différentiel aniséiconique. Cette question sera reprise dans le chapitre de l’aniséïconie.
• En cas de strabisme et a fortiori d’amblyopie, il ne faut pas inverser la dominance oculaire en induisant une amétropie.
Les systèmes oculaires grossissants

La chirurgie de la cataracte a été mise à profit pour faire bénéficier au patient d’une aide visuelle par le biais d’un système grossissant.
Ces systèmes grossissants sont également utilisés en dehors de la chirurgie de la cataracte.
Un système grossissant est toujours composé de deux lentilles
: un objectif convergent qui regarde l’objet et donne une image vue par l’œil à travers un oculaire soit convergent (jumelles, longue vue, lunette astronomique, microscope), soit divergent (lunettes de Galilée et téléobjectif) (figure n° 8).

Positions relatives des objets et images dans une lentille divergente

Les deux systèmes sont utilisés en ophtalmologie sont les lunettes de Galilée et le téléobjectif (Figure n° 9 et suivantes).

Les lunettes de Galilée

Un objectif convergent donne d’un objet lointain une image renversée située près de son foyer; un oculaire divergent reprend cette image comme objet virtuel et en redonne une image finale droite agrandie située en avant (Figures n° 10 et 11).
La position des foyers des deux lentilles est capitale
: le foyer image de la lentille convergente est légèrement à droite du foyer objet de la lentille divergente; le système ainsi créé, encore appelé improprement afocal car les deux foyers semblent coïncider, a un grandissement angulaire limité à deux ou trois; ce grandissement est égal au rapport des distances focales; son champ de vision est réduit et la luminosité est faible.
L’apport des lentilles diffractives a réduit l’encombrement de telles lunettes.

Le principe du téléobjectif

Il a été utilisé dans la correction de l’aphaquie avec dégénérescence maculaire (figures n° 12 à 17); l’objectif convergent est placé dans une monture devant l’œil, et l’œil divergent à la place du cristallin; la puissance des lentilles nécessaires est considérable (50 à 80 ∂ pour la convergente et 80 à 120 ∂ pour la divergente); la mise au point se faisait en modulant la puissance et la distance de la lentille aérienne. Le faible grossissement obtenu et les difficultés techniques de réalisation ont conduit à l’abandon de tels dispositifs.

Conclusion
• Diminuer les incertitudes dans le calcul d’un implant, le paramètre capital est la longueur axile;
• Étalonner le kératomètre
;
• Confronter plusieurs formules
;
• Importance de l’amétropie antérieure
;
• Applications à l’aniséïconie.

Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010