Réfraction de l'Enfant : la réfraction de l'œil dominant et de l'œil dominé Guy Clergeau & Alain Péchereau
Introduction


Littérature
Lépard (1975) [3] a étudié jusqu’à l’âge de 25 ans l’évolution réfractive chez 55 patients strabiques amblyopes. L’œil fixateur avait tendance à devenir plus myope, alors que l’œil amblyope tendait pour sa part à ne présenter aucune variation significative. Un groupe de référence orthophorique et non amblyope montrait une tendance à la myopisation sans différence significative entre les 2 yeux.
Raulet (1987) [5] a noté dans sa thèse une augmentation plus marquée de l’hypermétropie sur l’œil amblyope. Cette anisométropie augmente avec le temps.
Abrahamsson et al (1992) [1] ont confirmé le développement secondaire de l’anisométropie après l’apparition d’un strabisme chez 21 enfants présentant une orthophorie à l’âge de 1 an. Cette anisométropie peut être liée à une augmentation de l’hypermétropie sur l’œil dévié et une emmétropisation de l’œil fixateur. Les auteurs ont également noté une augmentation de l’hypermétropie dans le strabisme convergent et une stabilité dans le strabisme divergent.
Ingram et al (2003) [4] ont étudié l’évolution de l’hypermétropie dépistée chez les enfants lors d’un examen systématique à 6 mois jusqu’à 3 ans 1/2 et qui avaient au cours de cette période présenté une ésotropie. Toutes les réfractions initiales étaient supérieures à +2,75  ∂. Le changement moyen est apparu inférieur dans l’œil dominé et la différence entre les 2 yeux a été 3 fois supérieure à celle trouvée chez les sujets normaux. L’anisométropie a augmenté de 53  % chez les strabiques, mais elle reste physiologique (<0,75 ∂) dans 94  % des cas.
Clergeau (1999) [2] a comparé les réfractions de l’œil dominant et de l’œil dominé des sujets amblyopes avec et sans strabisme en comparaison à des sujets non amblyopes avec ou sans strabisme. À l’état de pathologie avérée il a été confirmé une anisométropie dont le facteur principal était le cylindre.
ѓtudes Personnelles
Méthodologie

Une étude longitudinale a été menée sur la même série que celle présentée dans l’étude générale (page 126), après avoir éliminé les dossiers présentant de fortes amétropies initiales (>+9,00 ∂ et < -4,00  ∂). Il a été retenu un total de 690 dossiers pour le groupe défini comme âge 4, c’est-à-dire la période moyenne de décompensation maximale de l’hypermétropie. Le tableau 1 présente l’ensemble des comparaisons des différents paramètres (sphère de base (SB), cylindre (|C|), sphère méridienne (SM), écart-types (de sphère et de cylindre) et anisométropie maximale) entre l’œil dominant (d) et l’œil amblyope ou dominé (a).


åge 1

åge 2

åge 3

åge 4

åge 5

åge 6

åge 7

åge 8

Nb sujets

218

420

636

690

631

523

365

152

SB d

+1,92  ∂

+2,20 ∂

+2,51 ∂

+2,52 ∂

+2,12 ∂

+1,74 ∂

+1,41 ∂

+1,05 ∂

SB a

+2,07  ∂

+2,34 ∂

+2,60 ∂

+2,66 ∂

+2,36 ∂

+1,99 ∂

+1,64 ∂

+1,54 ∂

|C| d

0,72  ∂

0,72 ∂

0,79 ∂

0,88 ∂

0,94 ∂

1,01 ∂

1,04 ∂

1,05 ∂

|C| a

0,75  ∂

0,94 ∂

1,08 ∂

1,10 ∂

1,13 ∂

1,12 ∂

1,16 ∂

1,26 ∂

SM d

+2,64  ∂

+2,92 ∂

+3,30 ∂

+3,60 ∂

+3,06 ∂

+2,75 ∂

+2,45 ∂

+2,10 ∂

SM a

+2,82  ∂

+3,28 ∂

+3,68 ∂

+3,76 ∂

+3,49 ∂

+3,11 ∂

+2,80 ∂

+2,80 ∂

DS S d

1,93  ∂

2,01 ∂

2,12 ∂

2,24 ∂

2,13 ∂

2,69 ∂

2,64 ∂

2,87 ∂

DS S a

1,99  ∂

2,30 ∂

2,31 ∂

2,36 ∂

2,44 ∂

2,74 ∂

2,72 ∂

2,91 ∂

DS C d

0,86  ∂

0,81 ∂

0,87 ∂

1,00 ∂

0,89 ∂

0,90 ∂

0,91 ∂

1,07 ∂

DS C a

0,95  ∂

0,97 ∂

1,05 ∂

1,11 ∂

1,12 ∂

1,18 ∂

1,19 ∂

1,34 ∂

Tab 1. évolution comparée Ïil fixateur/Ïil dominé


Résultats
La sphère de base

L’œil fixateur suit le schéma défini dans le cas général avec une augmentation de la réfraction moyenne de +0,60  ∂ à partir de la réfraction initiale. La suite retrouve une régression sensible, qui atteint -1,10  ∂ vers 15 ans. Ces valeurs sont peu différentes du cas général. Il faut toutefois signaler que le cas général a été défini par rapport à l’œil droit et que l’œil dominant s’est avéré être l’œil droit dans 61  % des cas de cette série. Il conviendra de vérifier si cette situation est habituelle, mais la série de Nantes et celle de Paimpol sont concordantes sur ce point.
L’œil dominé suit le même parcours avec une variation quasi i-den-tique. La différence avec l’œil dominant n’excède pas +0,25  ∂.

Le cylindre

Quel que soit l’œil analysé, le cylindre est apparu en constante augmentation, mais celle-ci est un peu plus marquée sur l’œil dominé. La différence moyenne ne dépasse pas toutefois 0,25  ∂.

La sphère méridienne

Elle est directement liée aux 2 paramètres précédents. La différence moyenne est un peu amplifiée au cours de l’évolution, mais là encore la différence n’excède pas 0,50  ∂.

LХanisométropie

L’anisométropie exprimée précédemment portait sur les moyennes réfractives globales des 3 paramètres. Lorsque l’on analyse les anisométropies individuelles, la moyenne de ces anisométropies s’avère nettement plus significative et devient rapidement non physiologique (tableau 2).


åge 1

åge 2

åge 3

åge 4

åge 5

åge 6

åge 7

åge 8

SB a-d

+0,15  ∂

+0,14 ∂

+0,11 ∂

+0,14 ∂

+0,24 ∂

+0,25 ∂

+0,23 ∂

+0,49 ∂

|C| a-d

+0,03  ∂

+0,18 ∂

+0,29 ∂

+0,22 ∂

+0,19 ∂

+0,11 ∂

+0,12 ∂

+0,21 ∂

SM a-d

+0,18  ∂

+0,38 ∂

+0,38 ∂

+0,16 ∂

+0,43 ∂

+0,36 ∂

+0,36 ∂

+0,70 ∂

Anisométropie

0,44  ∂

0,66 ∂

0,74 ∂

0,75 ∂

0,88 ∂

0,98 ∂

1,01 ∂

1,13 ∂

DS anisométropie

0,48  ∂

0,68 ∂

0,66 ∂

0,63 ∂

0,77 ∂

0,83 ∂

0,87 ∂

1,06 ∂

Tab 2. Anisométropie des moyennes et moyenne des anisométropies


Les écart-types

Pour l’ensemble des paramètres, la dispersion des valeurs augmente progressivement et là encore plus sensiblement sur l’œil dominé. Ce constat n’était pas obligatoirement attendu, car la myopisation potentielle de l’œil dominant aurait pu accentuer de façon supérieure cette dispersion par rapport à l’œil dominé qui est censé conserver un statu quo.

Discussion

D’une manière générale nos résultats confirment quelques éléments des constats antérieurs. En particulier la moyenne réfractive de l’œil dominé est sensiblement supérieure à celle de l’œil dominant et l’existence d’une régression de la réfraction avec ou sans myopisation s’observe effectivement de façon préférentielle pour ce dernier.
Il apparaît par contre quelques désaccords dont certains sont parfaitement explicables.
Dans son travail Lépard signale plus particulièrement une régression évolutive de l’œil dominant. Mais apparemment cette étude ne débute qu’après la période de réfraction maximale et n’utilise probablement pas de façon systématique la cycloplégie. Par contre l’analyse des réfractions à partir du diagnostic de strabisme (Raulet) ou à partir d’examens systématiques (Abrahamsson, Ingram) confirme une première phase d’augmentation de l’hypermétropie (qui peut précéder le strabisme). Cependant cette augmentation concernerait très préférentiellement l’œil dominé.
Nos résultats ne sont pas en accord avec l’asymétrie décrite pour l’évolution sphérique initiale. En effet si la décompensation de l’hypermétropie latente est un fait généralement accepté, il n’y a aucune raison pour que celle-ci soit supérieure sur l’œil dominé. Ce dernier est caractérisé pratiquement dès le départ par une parésie accommodative qui le laisse dans un état d’hypermétropie plus élevée que la normale, tandis que l’œil dominant aura été plus ou moins sensible à une emmétropisation au moins ébauchée. Dans ces conditions le traitement utilisant la correction optique totale et a fortiori les pénalisations sphériques positives auront tendance à ramener cet œil à sa condition d’hypermétropie initiale et donc avec une décompensation plus importante.
Un autre point qui est confirmé est l’augmentation de l’astigmatisme et de l’anisométropie et dans des proportions modérées. Par ailleurs l’œil dominé est en principe celui qui présente le plus fort cylindre, même lorsque la sphère n’est pas la plus élevée. La présence d’une asymétrie cylindrique est le témoin d’une amblyopie latente ou avérée (page 270).
Nos observations concernant une évolutivité différente entre stra-bismes convergents et strabismes divergents, signalée par Abrahamsson, ne confirment pas cette idée. En effet, si nous retrouvons effectivement une hypermétropie moyenne sensiblement inférieure pour les exotropies, celles-ci restent caractérisées par une hypermétropie nettement significative et qui répond aux mêmes schémas évolutifs que les ésotropies. Il a même été constaté que ces exotropies présentent plus particulièrement des résistances prolongées à la libération de leur hypermétropie latente (avec diagnostic erroné d’ésotropie à grand-angle dans 10  % des cas).
L’anisométropie est apparue particulièrement fréquente, mais contrai-rement aux constats d’Ingram, celle-ci est la plupart du temps non physiologique, et constitue un autre témoin de l’amblyopie. A contrario, en l’absence d’amblyopie l’anisométropie n’est plus une caractéristique de l’amétropie strabique.

Conclusion


Références
1. Abrahamsson M, Fabian G, Sjöstrand J. Refraction changes in children developing convergent or divergent strabismus. Br J Ophthalmol-. 1992; 76: 723-27.
2. Clergeau G. Quand penser à une amblyopie devant une anomalie réfractive
? In: A Péchereau, J Péchereau et B Richard Éditeurs. Diplôme Universitaire de Strabologie, Session II; Cahiers de sensorio-motricité. Nantes, FNRO Éditions. 1999-2000. P69-71.
3. Lepard CW. Comparative changes in the error of refraction between fixing and amblyopic eyes during growth and development. Am J Ophthalmol. 1
975; 80: 485-90.
4. Ingram RM, Gill LE, Lambert TW. Emmetropisation in normal and strabismic children and the associated changes in anisometropia. Strabismus. 2
003; 11: 71-84.
5. Raulet H. Évolution de la réfraction chez les sujets strabiques convergents. À propos de 347 cas. Thèse Médecine, Paris, 1
987.

Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010