Réfraction de l'Enfant : l'examen du nourrisson Guy Clergeau

Introduction


Sous cette dénomination, nous entendrons essentiellement la période de 0 à 12 mois, même si certains problèmes sont manifestement présents voire amplifiés jusqu’à l’âge de 2 à 3 ans. Les difficultés propres au jeune enfant sont de 2 ordres : psychologique en ce qui concerne la réalisation de l’examen et technique en ce qui concerne sa précision et sa validité.

Le déroulement de l’examen


La faisabilité


A priori la notion de coopération est plutôt inadaptée, le terme d’acceptabilité étant plus réaliste. Il faut donc se mettre dans les conditions qui vont faire oublier les craintes spontanées, au moins de certains enfants, et se reposer à l’inverse sur une curiosité naturelle. Avant 8 à 9 mois, les aptitudes favorables sont le plus souvent prédominantes mais cette tendance s’inverse très nettement par la suite, d’où l’intérêt reconnu par tous les auteurs de réaliser l’examen systématique plutôt à 9 mois que plus tard.

Le stimulus visuel


En règle générale l’enfant est nettement attiré par la lumière et la fente lumineuse du skiascope constitue un stimulus d’attraction parfaitement adapté. Deux problèmes pratiques apparaissent néanmoins. D’une part cet intérêt s’épuise rapidement au profit d’autres éléments, d’où la nécessité d’un examen rapide. D’autre part le spot lumineux est souvent trop intense et provoque chez le tout jeune enfant une nette photophobie qui peut entraîner un véritable refus du regard droit devant. Cette luminosité doit donc être adaptée.
Le spot lumineux n’étant en général pas suffisant pour maintenir l’attention, il est utile de disposer d’une panoplie d’objets, jouets ou hochets classiques. Néanmoins l’utilisation de ces objets est ici très particulière, car à la différence de l’examen oculomoteur ils n’ont pas pour but d’être fixés, mais de constituer un élément tactile rassurant et détournant une angoisse latente. L’aspect tactile le plus efficace est le plus souvent de nature gustative et tous ces jouets finissent inéluctablement et rapidement à la bouche, au grand désarroi des parents médiatiquement habitués à la notion d’asepsie et de contagion. Outre une petite explication aux intéressés, il y a un certain nombre de précautions à prendre : les jouets doivent avoir des formes arrondies ; il ne doit pas y avoir de risque de les désolidariser ce qui pourrait conduire au corps étranger des voies aériennes, et sur ce plan les verres d’essais, très prisés par l’enfant, sont particulièrement dangereux.

Le stimulus sonore


La seule utilisation des jouets a pour effet le plus souvent de déplacer l’intérêt de l’enfant et pour se recentrer sur l’objectif initial qui est le skiascope il faut y adjoindre un autre élément parfaitement connu : l’attraction auditive. Le bon examinateur aura donc si possible toute une gamme de bruitages qui sont d’ailleurs facilement mémorisés par l’enfant et facilitent les examens ultérieurs.

Conditions particulières


Les conditions générales précédemment exposées évoluent en réalité de façon notable en fonction de l’âge.
Examen du nouveau-né
La majorité du temps, au moment de l’examen en maternité, l’enfant dort. Paradoxalement cet examen est peut-être plus facile qu’à l’état d’éveil. Pendant le sommeil, le refus de l’examen à l’écartement des paupières est relativement limité. Le seul problème est d’arriver à saisir la position « droit devant  » (approximative) qui n’est toujours que transitoire dans une mobilité permanente. Par contre à l’état d’éveil la fente palpébrale est volontiers insuffisante, la fixation de la lumière étant souvent mal acceptée. Dans toutes ces conditions, la mesure du méridien vertical est souvent aléatoire expliquant probablement l’absence de précision sur cette donnée dans la plupart des publications.

А 1 mois


Les conditions sont assez similaires. Les phases d’éveil sont néanmoins plus fréquentes mais souvent brèves et obligent à patienter de nombreuses minutes pour obtenir des informations suffisantes. L’examen forcé avec ouverture des paupières est également réalisable.

А 2 mois


L’éveil prédomine en général, mais une caractéristique étonnante est un refus actif fréquent de l’examen, l’enfant détournant la tête dès que l’on projette la lumière du skiascope, mais surtout dès que l’on approche le verre d’essai, avec déclenchement possible de pleurs. Pendant cette période, le port de la tête est très instable et le regard préférentiellement dirigé vers le bas, ce qui oblige à une gymnastique permanente.

De 3 а 6 mois


C’est une période optimale car la curiosité et l’absence de crainte sont de mise et les données skiascopiques sont en règle très fiables.

Psychologie de l’examinateur


Il est évident que le comportement naturel du nourrisson nécessite une adaptation particulière de l’examinateur. La patience reste une condition incontournable, le comportement naturel du tout jeune enfant ne pouvant être ignoré ou refusé.

Aspects techniques


Les conditions précédemment décrites rendent à notre sens aléatoire l’utilisation systématique d’un autoréfractomètre, même très performant, tout au moins de façon très reproductible. L’examen obligé semble donc jusqu’à nouvel ordre la skiascopie. Celle-ci présente un certain nombre de difficultés classiques mais en partie amplifiées par l’âge d’examen.

La distance d’examen


La correction habituellement apportée est de l’ordre de -1,50 à -1,75  ∂ par rapport au résultat brut, étant donné que la skiascopie n’est en général pas réalisée à 1 mètre mais plutôt à 60 ou 70 cm. En fait plus l’enfant est jeune et plus cette distance tend à diminuer pour compenser les mouvements incessants, pouvant se réduire à 20 ou 30 cm chez le nouveau-né. Il est donc indispensable que le correctif soit lié à la formule « -1/distance  ».

La distance verre/œil


Si un examinateur entraîné peut être capable d’évaluer approximativement la réfraction sur le seul aspect du reflet rétinien et sur sa neutralisation en fonction de la distance d’examen, la procédure classique indispensable reste d’obtenir cette valeur de neutralisation en utilisant les verres d’essais. Il n’empêche qu’autant la lumière du skiascope présente un aspect ludique, autant l’approche de la main avec le verre d’essai est souvent ressentie comme une intrusion inquiétante dans le champ visuel proximal. Il est donc judicieux de commencer par une approche à distance et de répéter la manœuvre en réduisant progressivement cette distance. En fonction du caractère de l’enfant et de la position de la tête, la distance entre la cornée et le verre d’essai est susceptible de présenter des variations très significatives. Les effets d’une telle variation sont bien connus chez le presbyte et encore plus chez l’aphake. La lecture des tables de conversion lentille/verre montre néanmoins que seules les réfractions supérieures à 5 dioptries sont susceptibles de provoquer des erreurs significatives (> 0,50 ∂), mais ces valeurs ne sont pas exceptionnelles chez le nourrisson.

La dilatation pupillaire


L’atropine étant le plus souvent utilisée avant un an, la dilatation pupillaire est rarement très importante. Elle est néanmoins suffisante pour contribuer à la photophobie. Mais sa combinaison à la forte sphéricité cornéenne et cristallinienne favorise l’apparition des aberrations sphériques et en particulier la difficulté d’appréciation précise des axes d’astigmatisme (ces derniers étant heureusement assez rarement obliques).

Évaluation de l’astigmatisme


Deux éléments peuvent rendre difficile cette mesure :
  • Une fente palpébrale petite dans les premiers mois complique l’évaluation du méridien vertical.
  • En fait, les phases prolongées de sommeil jusqu’à 2 mois obligent souvent à une ouverture contrainte des paupières susceptible de provoquer un astigmatisme artificiel par déformation sclérale. Ceci est particulièrement vrai pour le nouveau-né chez qui a parfois été utilisé le blépharostat.
Ces problèmes de rapport dynamique entre paupières et sclère pourraient expliquer la prédominance quasi exclusive des astigmatismes directs pendant les 6 premiers mois. Ce constat ne semble toutefois pas lié à la technique même.
Incertitude de fixation et astigmatisme
L’exploration visuelle du tout jeune enfant procède manifestement d’une recherche plus périphérique que centrale. Il est donc très difficile d’obtenir une fixation centrée prolongée et toutes les mesures skiascopiques doivent être particulièrement rapides et seront essentiellement validées sur l’impression du «  droit devant » apprécié dans le même temps par l’examinateur. Cette appréciation est beaucoup plus difficile sur le méridien vertical que sur le méridien horizontal. Des expériences menées chez l’adulte ont montré une imprécision d’évaluation par l’observateur de plus ou moins 5 degrés. Cette incertitude pourrait selon certains auteurs être responsable de la forte prévalence de l’astigmatisme retrouvée chez l’enfant. Par contre l’utilisation ou non de la cycloplégie ne semble pas intervenir, mais une dilatation importante peut rendre plus difficile l’appréciation du centrage. Les calculs théoriques (Legrand) ont montré qu’une erreur d’axe de 10° induisait un astigmatisme artificiel de 0,75 dioptrie. Cette valeur obtenue chez l’adulte pourrait atteindre 1,50 dioptrie chez le jeune enfant en raison de sa puissance réfractive. À ces erreurs possibles, il convient d’ajouter un angle alpha plus important que chez l’adulte (8 à 10° horizontaux à 6 mois). Enfin la puissance réfractive amplifie les petits angles d’obliquité.
Toutefois si l’ensemble de ces erreurs était une explication plausible pour la fréquence de l’astigmatisme, on devrait observer une régression continue avec l’âge, ce qui n’est manifestement pas le cas entre la naissance et le 4e et 5e mois. Par ailleurs l’astigmatisme induit par les erreurs d’axe semblerait devoir être inverse ce qui n’est pas non plus le cas (voir discussion in Banks 1 980 [1]).

Évaluation de la sphère


La majorité des résultats concernant la valeur moyenne de la sphère semblent indiquer que le nouveau-né serait préférentiellement programmé pour une vision de loin (Banks). Cependant à l’inverse, bon nombre d’auteurs ont plutôt constaté une nette tendance myopique que certains ont interprétée comme un intérêt pour privilégier l’exploration du proche espace.
Le problème ici n’est pas de trancher entre ces résultats contradictoires mais d’évaluer la corrélation réelle entre le résultat skiascopique et la réalité anatomo-fonctionnelle. Glickstein et Millodot [2], ont confirmé le constat d’une hypermétropie moyenne de l’ordre de 2 dioptries. Mais pour eux il ne s’agirait que d’un artefact d’examen. En se référant aux particularités anatomiques microscopiques de certains animaux (aspect en villosités de la surface rétinienne), ils suggèrent que le plan de réflexion de la lumière ne se situe pas au niveau des récepteurs mais nettement plus en avant, ce qui induit une erreur de calcul optique dont la formulation est : E = n/α [f*(f +α)] Dans cette formule, E = erreur dioptrique, n = indice de réfraction, f = longueur focale postérieure, et α = distance entre plan de réflexion et récepteurs rétiniens.
Si l’on considère que α est négligeable par rapport à f, l’erreur ne dépend finalement que de la longueur focale. Cette erreur serait de l’ordre de 0,80 dioptrie si l’on considère que la longueur focale du nourrisson représente 90  % de celle de l’adulte, ce qui ne correspond pas au constat clinique moyen de 2 dioptries. D’autres expériences réalisées chez l’animal n’ont pas confirmé l’importance de cet artefact. Par contre une étude comparative de skiascopie en lumière normale et en lumière polarisée semble confirmer chez l’homme l’existence de 2 plans de réflexion (O’Leary et al [4]) : un plan au niveau de la limitante interne et un autre au niveau de l’épithélium pigmentaire, le premier étant plus important chez l’enfant et le second chez l’adulte. Compte tenu de la faible épaisseur de la rétine centrale (1/3 de mm) les conséquences optiques sont probablement faibles et ne remettent pas en cause le constat skiascopique.

La cycloplégie


Compte tenu de l’ensemble des difficultés possibles de mesures il semble a priori qu’une technique cycloplégique soit préférable dans l’évaluation réfractive du tout jeune enfant. Un certain nombre de résultats publiés par Mohindra [3] avec sa propre technique semblent effectivement montrer une relaxation insuffisante du tonus accommodatif de base, d’autant plus marquée que l’enfant est plus jeune. La même remarque a été clairement formulée par Wesson [5].
Toutefois, en dehors de l’objectif d’obtenir des données réfractives très précises, l’absence de cycloplégie peut rester défendable dans des protocoles de dépistage de masse où, pour des raisons multiples, l’utilisation systématique des cycloplégiques, pose d’indiscutables problèmes de responsabilité médico-juridique. Mais cette option ne paraît pas devoir être retenue avant l’âge de 9 mois, voire 12 mois.
Lorsqu’un protocole cycloplégique a été retenu, celui-ci doit si possible répondre à certaines règles :
  • On rappellera d’abord que seuls l’atropine et le cyclopentolate méritent le qualificatif de cycloplégique et que seuls ces produits devraient être utilisés dans le cadre d’études.
  • Le cyclopentolate est par habitude déconseillé dans une utilisation systématique avant l’âge de 1 an. Cette précaution n’est toutefois liée qu’à un problème d’absence d’AMM. En effet, le dosage actuel de 0,5  % n’a comme contre-indication réelle que des antécédents neurologiques (mais certaines sensibilités ne sont pas identifiées).
  • Le dosage de l’atropine sera exclusivement de 0,30  % avant l’âge de 2 ans. Il n’y a pas de consensus sur un protocole de référence. L’indication d’une durée de 10 jours ne concernait que le problème du strabisme. Cette durée s’avérant de toute façon insuffisante à elle seule pour démasquer la totalité de l’hypermétropie latente, ce protocole n’a plus d’indication et lors du second contrôle le cyclopentolate prendra souvent le relais. En dehors des problèmes moteurs, la durée d’instillation sera généralement limitée à 4 à 5 jours. Dans le cadre des examens systématiques mais également de pathologie suspectée, nous utilisons depuis une vingtaine d’années un protocole allégé adapté à l’âge : 1 jour 1/2 (3 instillations) de 1 à 4 mois, 2 jours 1/2 de 5 à 7 mois, 3 jours 1/2 de 8 à 24 mois. Ce protocole nous paraît réaliser un compromis acceptable entre risque relatif et efficacité.
  • Pour l’examen réfractif du nouveau-né, nous préférons nous en tenir à un protocole plus faible, « homatropine 1  % + tropicamide 1  %  ». Il s’agit surtout d’un principe de précaution au cas où certaines anomalies totalement indépendantes de la cycloplégie présenteraient une découverte retardée. On rappellera néanmoins que certains auteurs n’ont pas hésité à utiliser 4 instillations journalières d’atropine à 1  % chez le nouveau-né pour simple recherche réfractive.
  • On rappellera enfin que le chlorhydrate de phényléphrine (Néosynéphrine ®), outre son absence d’effet cycloplégique, est plutôt contre-indiqué chez le nourrisson.

Conclusion


L’examen de la réfraction du tout jeune enfant pose en fait comme seul véritable problème l’exigence d’un opérateur entraîné, ou qui veut le devenir, c’est-à-dire convaincu de l’intérêt diagnostique et thérapeutique des examens pratiqués à cet âge.
Références
  1. Banks MS. Infant refraction and accommodation. Int Ophthalmol Clin. 1 980 ; 20 : 205-32.
  2. Glickstein M, Millodot M. Retinoscopy and eye size. Science. 1 970 ; 168 : 605-606.
  3. Mohindra I, Held R. Refraction in humans from birth to 5 years. Doc Ophthalmol Proc Ser. 1 981 ; 28 : 19-27.
  4. O’Leary D, Millodot M. The discrepancy between retinoscopy and subjective refraction : effect of light polarization. Am J Optom Physiol- Opt. 1 978 ; 55 : 553-6.
  5. Wesson MD, Mann KR, Bray NW. A comparison of cycloplegic refraction to near retinoscopy technique for refractive error determination. J Am Optom Assoc. 1 990 ; 61 : 680-84.

Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010