Réfraction de l'Enfant : La skiascopie Guy Clergeau

Introduction


La première utilisation ponctuelle de la skiascopie est attribuée à Bowman [9] en 1 859. Son application à la mesure de la réfraction en a été faite par Cuignet [15] à partir de 1 873. Toutefois le mécanisme optique et l’interprétation n’ont été établis que plus tardivement par les travaux de Landolt (1 878 à 1 927). L’historique et les bases optiques ont été récemment exposées par Roth [31] (2 007).
D’une manière générale le principe repose sur l’observation de la projection d’un faisceau lumineux sur la rétine, laquelle en raison de son anatomie, réfléchit ce faisceau plus ou moins modifié vers l’observateur placé dans l’axe visuel du sujet examiné (ou dans sa proximité).
Les diverses modalités et contraintes de l’examen sont liées à l’utilisation ou non d’une cycloplégie, à la distance de fixation pour le sujet examiné, à la distance d’examen pour l’observateur, aux caractéristiques du faisceau incident, fixe ou mobile, convergent, parallèle ou divergent.
Initialement le faisceau incident provenait d’une source lumineuse proche du sujet examiné et était renvoyé à la pupille de ce dernier par un miroir percé d’un orifice pour l’observateur (palette de Morax). Une amélioration de la réalisation et surtout de la précision de l’examen a été apportée par la mise au point du skiascope contenant la source lumineuse, puis par le remplacement du spot rond par un spot à fente permettant l’examen précis des différents méridiens (Copeland 1 927 [13]). Le terme le plus approprié pour cet examen est bien celui de skiascopie, les Anglo-saxons conservant le terme plus général de rétinoscopie.

Les techniques


La skiascopie (standard) sous cycloplégie


Le problème de l’accommodation, présent pour la plupart des sujets examinés, mais d’autant plus manifeste qu’ils sont plus jeunes, est connu de longue date (page 56). Il rend a priori indispensable l’utilisation d’une cycloplégie efficace dont le choix restreint a été précisé précédemment. Cette skiascopie de référence ne comporte à l’inverse des autres techniques aucun qualificatif particulier. La description optique de base repose sur un examen réalisé à 1 mètre du sujet examiné, impliquant la soustraction de 1 dioptrie à la valeur skiascopique brute de neutralisation. En pratique cette distance est rarement utilisée et selon les opérateurs et les conditions d’examen cette distance est plutôt de 75 à 50 cm nécessitant alors une soustraction de 1,50 à 2,00 dioptries.

La skiascopie  statique (de loin)


Réalisée sans cycloplégie, elle a été longtemps la seule alternative à la skiascopie sous cycloplégie (Hirsch 1 950 [20]). Comme ne l’indique pas particulièrement sa dénomination, le terme de statique fait uniquement référence à la stabilité de la réfraction en l’absence d’accommodation, le faisceau lumineux du skiascope étant lui-même mobile. La suppression de toute accommodation nécessite cependant des précautions particulières. La distance de fixation pour l’œil non examiné doit être celle de l’infini. En pratique celle-ci est limitée entre 5 à 6 mètres et à cette distance il peut encore y avoir des mouvements accommodatifs s’il s’agit d’une cible identifiable (avec accommodation consensuelle de l’œil examiné). En complément, il faut donc soit travailler dans la pénombre, soit utiliser un brouillage optique par une lentille positive d’environ 2 dioptries. Le degré de ce brouillage ne semble toutefois pas avoir de réelle incidence (Chiu et al 1 997 [12]). Il pourrait même être facultatif… sauf chez l’hypermétrope (Bigsby et al 1 984 [5]). L’œil examiné n’étant pas fixateur, il n’y a pas de certitude sur le centrage optique et les erreurs réfractives éventuellement induites ne sont pas négligeables (Jackson et al 2 004 [22]).

La skiascopie dynamique 


En réduisant la distance de fixation et en l’absence de cycloplégie, on laisse s’exercer un certain degré d’accommodation, celui-là même que l’on essaye de mesurer. L’objectif de cet examen est donc de mesurer les variations accommodatives pour des cibles placées à des distances contrôlées en se basant sur les variations réfractives de l’œil examiné. Cette technique comportant normalement une fixation binoculaire (et donc une skiascopie excentrée) a été largement utilisée depuis le début du siècle (Cross 1 911 [14], Sheard 1 928 [33]). Il en existe des variantes comme la technique d’évaluation en monoculaire ou « MEM  » (Bieber 1 974 [4]). Ces techniques sans cycloplégie ont en principe l’intérêt de mettre en évidence des insuffisances (lag) ou des excès d’accommodation. Elles doivent permettre également de définir une situation de relaxation accommodative en utilisant des conditions particulières telles que la pénombre qui supprime le repère spatial. On sait que cette situation correspond à une légère myopie chez le sujet emmétrope. C’est également à partir de cette position de repos que se définit l’accommodation tonique (qui n’est levée que par cycloplégie). Le problème est que l’appréciation indirecte de ce tonus accommodatif ne fait pas l’unanimité, en particulier en raison de variations physiologiques individuelles de l’accommodation qui ne sont pas obligatoirement corrélées à la distance de stimulation et qui sont de plus partiellement liées à la réfraction (Fincham 1 951 [16], Freeman et al 1 954 [17], Allen 1 955 [1], Borish 1 970 [8], Maddock et al 1 981 [23], Bullimore et al 1 986 [10]).

La skiascopie de proximité


Mise au point par Mohindra (1 977 [25]), la skiascopie de proximité utilise la relaxation accommodative précédemment décrite en l’absence de cycloplégie. La neutralisation de l’accommodation est basée sur le caractère non stimulant d’une lumière faible ponctuelle et en particulier ici le filament de la lampe du skiascope (Owens et al 1 980 [29], Rosenfield 1 989 [30]). L’examen est réalisé à la distance de 50 cm dans une pièce sombre, avec en principe l’œil controlatéral occlus. Le résultat brut corrigé par rapport à la distance d’examen (-2,00  ∂) est qualifié de « réfraction manifeste  ». À partir de la réfraction manifeste est introduit un correctif tenant compte de l’accommodation tonique résiduelle, cette dernière ayant été évaluée à 0,75  ∂ à partir d’examens comparatifs sous cycloplégie chez l’enfant (Mohindra 1 977 [25], 1 979 [27]) et en skiascopie statique chez l’adulte (Mohindra 1 977 [26]). En conséquence le résultat net est égal à la valeur brute diminuée de -1,25  ∂ (-2,00 pour la distance d’examen et +0,75 pour l’accommodation tonique), résultat censé être identique à une réfraction cycloplégique.

La skiascopie éblouissante 


Proposée par Berrondo (1 983 [3]), elle est basée cette fois sur le constat connu qu’un éblouissement notable neutralise l’accommodation. Un éblouissement est donc réalisé avant la skiascopie par la palette de Morax. La skiascopie est réalisée à 50 cm. L’efficacité est apparemment irrégulière, l’auteur utilisant volontiers du tropicamide en complément.

La skiascopique  en fente fine 


Proposée par Boeder et al (1 984 [6]) (et décrite par Barrach 1 998 [2]), elle est identique à la skiascopie statique hormis le fait important que cette fois le faisceau émis par le skiascope est gardé immobile et surtout que les rayons incidents sont gardés parallèles. Les rayons émergents sont également parallèles ce qui fait que la distance d’observation est indifférente et que la valeur brute du résultat ne subit aucun correctif après neutralisation de l’amétropie éventuelle. La seconde particularité est que l’image rétinienne est fixe et que l’on apprécie non pas un mouvement mais l’aspect de la fente lumineuse. Cette dernière apparaît très fine, lumineuse et à bords nets dès lors que l’on atteint l’emmétropie. Certains auteurs ont signalé la nécessité pour l’examinateur de conserver sa correction optique qui intervient dans le principe optique de la technique. Ceci aurait en fait peu d’importance en pratique (Hallak 1 976 [19]). La position de l’examinateur étant indifférente, on peut réaliser une skiascopie de près mais la cycloplégie est alors nécessaire.

Quelle(s) technique(s) faut-il choisir ?


Lorsqu’il s’agit d’adultes ou de grands enfants dont la coopération est en principe satisfaisante et que la cycloplégie n’apparaît pas indispensable, la skiascopie statique et la skiascopie en fente fine peuvent être très utiles. C’est en particulier avec la skiascopie statique qu’Hirsch (1 961 [21]) a donné une description de l’évolution de la réfraction entre les âges de 6 et 14 ans. Néanmoins dans un contexte d’études précises la cycloplégie est incontournable.
La skiascopie dynamique présente un intérêt non négligeable dans la mise en évidence de troubles accommodatifs qui peuvent en particulier révéler un début d’amblyopie à l’âge préverbal alors que la seule skiascopie cycloplégique peut être seulement limite (Guyton et al 1 991 [18]).
Dans le cadre des examens des nourrissons et des jeunes enfants, seules les méthodes de fixation proche peuvent être utilisées. Le problème posé est donc essentiellement celui de la cycloplégie. Le critère essentiel dans ce choix sera donc la qualité de la corrélation entre les réfractions évaluées avec la skiascopie cycloplégique et la skiascopie de proximité.
Mohindra [25,26 & 27] a pu déterminer une valeur de l’accommodation tonique à partir du constat d’une bonne corrélation entre les 2 méthodes. Borghi et al (1 985 [7]) ont également trouvé des résultats similaires avec le correctif nécessaire. C’est également le constat de Chan et al (1 994 [11]) mais en utilisant un correctif plus complexe : R cycloplégique = (R manifeste *1,45) +0,39  ∂.
D’autres auteurs comme Maino et al (1 984 [24]) ont à l’inverse trouvé une corrélation très médiocre (seulement 35,7  % de différences < 0,75  ∂), même en modifiant sensiblement le correctif d’accommodation tonique. Cette technique apparaît encore moins fiable dans le dépistage des facteurs de risque (S > 3  ∂ et C > 1  ∂).
Une étude beaucoup plus approfondie a été réalisée par Wesson et al (1 990 [34]) qui ont relevé de nombreuses insuffisances dans les études précédentes : absence de validation statistique crédible, pas de sélection dans l’âge des sujets étudiés, pas de cycloplégie valable (tropicamide + phényléphrine). Les auteurs en utilisant ici le cyclopentolate ont conclu à des différences significatives dans les résultats des 2 méthodes tant pour les paramètres sphériques que cylindriques. En dépit de ce constat les corrélations étaient bonnes, mais les auteurs soulignent que le critère de corrélation habituellement retenu pour valider la skiascopie de proximité indique uniquement une concordance entre individus mais ne donne aucun renseignement sur l’amplitude des différences entre les mesures. Le facteur âge joue surtout un rôle important dans la variabilité des résultats, les différences pouvant dépasser 2  ∂ chez le nourrisson.
Une étude similaire a été réalisée par Saunders et al (1 992 [32]) avec des conclusions moins négatives. Mais là encore est apparue l’importance du facteur âge, la différence moyenne étant de 0,85  ∂ avant 2 ans contre 0,11  ∂ après 2 ans. Saunders évalue plutôt le tonus accommodatif à 1,00  ∂ pour l’enfant et 1,25  ∂ pour le nourrisson. Mais les auteurs signalent aussi la mauvaise reproductibilité des examens chez l’enfant.
L’analyse d’un certain nombre d’autres travaux montre de façon indirecte que la technique de proximité donne des résultats aléatoires par rapport à l’examen sous cycloplégie. C’est en particulier le cas pour les résultats publiés par Mohindra et al (1 981 [28]) qui montrent une évolution croissante de la réfraction entre la naissance et l’âge de 2 ans, ce qui est l’inverse de tous les travaux répertoriés. Cette situation traduit manifestement la diminution progressive du tonus accommodatif avec l’âge et donc une relation variable entre les 2 techniques skiascopiques.

Conclusion


Lorsque l’on est amené à choisir la skiascopie comme technique diagnostique, il apparaît très largement préférable d’utiliser une cycloplégie de référence et cela plus particulièrement avant l’âge de 2 ans. Le risque de variabilité de l’accommodation tonique est plus particulièrement marqué en cas de forte hypermétropie, de strabisme et d’amblyopie.
Références
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Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010