Si la maturation du système neurovisuel est un élément essentiel pour obtenir une acuité visuelle optimale, il y a également nécessité que le système optique soit performant.
Rappel optique
Sur le plan optique, l’œil se comporte comme une chambre photographique, comportant 2 lentilles convergentes, la cornée et le cristallin. Ces structures ont pour rôle de focaliser les informations visuelles sur la plaque photo-gra-phique représentée par la rétine.
Cornée et cristallin peuvent être assimilés à une lentille convergente unique dont la puissance de focalisation doit être associée de manière optimale à la longueur focale de l’œil qui est anatomiquement représentée par la longueur axiale.
Pour compléter ces éléments, il existe une pupille d’entrée dont le rétrécissement permet l’amélioration de la profondeur focale, qui représente l’espace à l’intérieur duquel toutes les images sont perçues comme nettes.
D’autre part la lentille cristallinienne a une puissance auto-modulable appelée accommodation, permettant de focaliser correctement les images qui ne proviennent pas de l’infini.
Évolution anatomique du globe
Comme tous les organes, l’œil présente une croissance dont l’élément le plus représentatif est sa longueur axiale. Initialement l’œil est quasiment sphérique, mais dans la croissance le diamètre antéropostérieur grandit un peu plus que le diamètre vertical et le diamètre transversal.
Le second phénomène observable est la diminution de la puissance dioptrique pour compenser l’augmentation de la longueur axiale. Chez le nouveau-né la puissance totale de focalisation était de 90 dioptries alors qu’elle ne sera plus que de 65 dioptries chez l’adulte. Cette réduction de puissance est principalement liée à un aplatissement de la cornée, lui-même consécutif à l’augmentation de son diamètre et aussi à l’a-pla-tis-sement du cristallin, également secondaire à l’augmentation de son diamètre mais aussi à une modification de la structure protéique qui constitue la lentille. Enfin pour être complet- on note un approfondissement de la chambre antérieure entre cornée et cristallin, ce qui modifie sensiblement le plan focal antérieur.
Terminologie réfractive
Dans son aspect fonctionnel lorsque l’œil est en état de repos accommodatif, l’équilibre plus ou moins correct entre puissance de convergence et longueur axiale permet d’aboutir à 3 situations :
- Si la compensation est parfaite avec focalisation rétinienne, l’œil est en état d’emmétropie ;
- Si cela n’est pas le cas, l’œil est en état d’amétropie :
- Soit la longueur axiale est trop courte et l’image est focalisée en arrière de la rétine : l’œil est qualifié d’hypermétrope ;
- Soit la longueur axiale est trop longue et l’image est focalisée en avant de la rétine : l’œil est qualifié de myope.
La quantification de ces anomalies est exprimée en dioptries, unité de mesure qui représente indirectement la distance à partir de laquelle la vision n’est plus correcte.
Il faut signaler par ailleurs que la cornée n’est le plus souvent pas totalement sphérique mais présente dans 2 axes qui sont orthogonaux une puissance différente qui entraîne une absence de focalisation simultanée sur la rétine. C’est ce que l’on appelle l’astigmatisme. Sur le plan physiologique, il existe généralement un petit astigmatisme cornéen, mais qui est compensé par un petit astigmatisme interne, essentiellement cristallinien, de sens opposé qui fait qu’un œil normal est réellement stigmate.
Une dernière anomalie peut être liée à une puissance optique différente entre les 2 yeux : c’est l’anisométropie.
Évolution de la réfraction
La situation néonatale
Il apparaît de façon non obligatoirement attendue que l’état optique du globe à la naissance n’est pas l’emmétropie. Bien que sur ce plan la littérature fournisse des résultats divergents, les données les plus crédibles concordent à constater un état significatif d’hypermétropie de l’ordre d’au moins 3 dioptries. Pour des raisons anatomiques, ceci semble a priori logique puisqu’à cette date l’œil est encore petit. Néanmoins le seul critère réfractif ne permet pas de décrire la taille du globe. Seule une analyse biométrique de tous les paramètres permettrait une description exacte et donc de relier cette hypermétropie à la taille du globe.
Évolution au cours de la première année
Dans le suivi d’une série de nourrissons depuis la naissance nous avons établi un protocole d’examens randomisés permettant d’établir une courbe continue mensuelle des réfractions cycloplégiques et qui confirme l’existence d’un phénomène physiologique connu mais auparavant mal détaillé, l’emmétropisation. En l’espace de 8 à 10 mois l’hypermétropie est divisée par 2, aboutissant à un état parfaitement compatible avec une vision normale (tableau 2). Dans le même temps l’astigmatisme, qui est signalé comme fréquent chez le nourrisson, rejoint également des normes correctes après avoir présenté comme particularité d’être maximal vers l’âge de 4 à 5 mois.
Évolution de 1 à 6 ans
Le profil évolutif de cette période contraste nettement avec celui de la phase d’emmétropisation rapide. On constate seulement un lent ajustement qui amène l’œil dans un état dit d’emmétropie physiologique et qui est en réalité une faible hypermétropie de 0,50 à 0,75 dioptrie, qui sera en définitive atteinte à l’adolescence (tableau 2).
Moyenne et dispersion
Le tableau évolutif qui vient d’être présenté correspond à celui de la moyenne des échantillons analysés. Cependant tous les sujets analysés ne se situent pas strictement dans ces valeurs, leur répartition présentant une dispersion. La dispersion naturelle de ces valeurs réfractives répond aux critères de la statistique gaussienne et la dispersion peut en théorie est décrite en utilisant les critères classiques de l’écartype.
Le problème dans l’utilisation pratique de cette courbe est qu’il existe une asymétrie fonctionnelle entre les hypermétropies et les myopies quant à leur impact sur la vision et sur le risque de dégradation défini par le terme de facteur de risque. Il est donc préférable de définir une zone de normalité déterminée de façon empirique plutôt que par la rigueur de la description statistique.
Réfraction physiologique : définition et évolution
La réfraction physiologique correspond à l’état anatomique fonctionnel qui permet une acuité normale en l’absence de tout trouble fonctionnel. Cette situation est relativement simple à établir à partir de l’âge verbal. Avant cette période il faut se référer aux limites de la capacité visuelle du nourrisson et surtout à l’existence de facteurs de risque.
L’évolution de la réfraction physiologique est caractérisée par une réduction rapide de ses limites. En particulier, il ne doit plus exister de myopie ni d’astigmatisme à partir de l’âge de 4 ans. L’hypermétropie doit se situer entre 0,50 et 1,50 dioptrie vers l’âge de 10 ans.
Amétropies et facteurs de risque : définition et évolution
Les amétropies se définissent a contrario comme les situations réfractives nécessitant pour des raisons visuelles ou fonctionnelles une correction optique. La notion de facteurs de risque inclut d’une part le risque visuel, c’est-à-dire le déficit non amélioré par la correction optique que l’on qualifie d’amblyopie, et d’autre part le risque moteur qui est la perte de parallélisme qualifié de strabisme. Ce sont surtout ces critères présentés sous forme de valeurs seuils qui ont été étudiés principalement au Royaume Uni par 2 auteurs et leurs équipes, entre 1 975 et 1 985, et par nous-même à partir de 1 978. Les résultats obtenus font l’objet d’un quasi-consensus, avec comme valeurs au-delà desquelles il existe un risque réellement constaté :
- Hypermétropie > +3,50 ∂ ;
- Astigmatisme > +1,50 ∂ ;
- Myopie > -1,75 ∂ ;
- Anisométropie > 1,00 ∂.
Ces valeurs sont celles retrouvées pour un examen sous cycloplégie entre 8 et 12 mois.
À partir de ce constat se pose la question essentielle de savoir si cet état « d’anormalité » est seulement un retard dans la croissance du globe, c’est-à-dire que la normalisation va s’effectuer ultérieurement, ou si cette situation va perdurer et exposera très réellement aux risques évoqués.
La réponse à cette question va être apportée par des études longitudinales différentielles, c’est-à-dire en étudiant séparément chaque degré de réfraction pour chacun des paramètres.
Il apparaît de façon évidente que plus les réfractions au 9e mois s’écartent de la zone de normalité plus leurs chances de rejoindre cette dernière sont faibles. Elles ne présenteront donc pas d’emmétropisation. Dans le meilleur des cas il y aura seulement besoin d’une simple correction optique. La conséquence de ce constat est la quantification en pourcentages de cette emmétropisation, qui est exposée dans le tableau 3. Il y a ici confirmation que l’importance du risque est proportionnelle au degré de l’anomalie réfractive initiale.
Prévalence des amétropies
Au 9e mois
La notion de facteur de risque étant elle-même parfaitement définie, la question qui se pose dans ses implications pratiques est celle de l’épidémiologie et de ses conséquences sociales éventuelles, c’est-à-dire l’intérêt de leur dépistage.
La plupart des études publiées et en particulier celles d’Atkinson, font état d’une prévalence de facteurs de risque n’excédant pas 10 % des enfants examinés. Mais ces études ne prennent pas en compte l’ensemble des facteurs de risque précédemment exposés. Nos études personnelles, établies en analyse longitudinale dans le suivi des nouveau-nés et en analyse transversale pour plusieurs milliers d’examens, concordent sur une valeur proche de 20 %. À 9 mois, 1 enfant sur 5 présente une réfraction située hors des normes physiologiques définies par les critères statistiques et fonctionnels.
À l’âge scolaire
L’appréciation de cette prévalence peut être issue d’études transversales ou d’études longitudinales.
Les études transversales sont prin-ci-pa-lement le fait des PMI. Le problème est que ces examens sont essentiellement subjectifs, réalisés avec des tests aux performances variables et les contrôles adressés aux ophtalmologistes ne sont pas toujours effectués. Un exemple caricatural de ce risque d’imprécision est la comparaison d’un dépistage réalisé sur des milliers d’enfants en maternelle qui aboutit pour Strasbourg à 30 % d’amétropies contre 3 % à Lyon !
Les études longitudinales sont a priori plus fiables mais nécessitent beaucoup de rigueur. En effet, avec la durée les biais de sélection deviennent de plus en plus manifestes étant donné que les enfants revus sont préférentiellement ceux qui présentent des anomalies et qui nécessitent une correction optique, tandis que ceux classés initialement comme physiologiques risquent de disparaître du suivi même dans le cadre d’un programme prospectif rigoureux. En dépit de ces difficultés et de la prudence qu’elles doivent susciter dans la présentation des résultats, on peut retenir 2 chiffres :
Celui présenté par la PMI de Paris à partir de plusieurs dizaines de milliers d’examens pratiqués en dépistage systématique longitudinal à 9 mois, 2 ans et 4 ans, sous cycloplégie par tropicamide et qui aboutit à une progression pendant cette période d’une prévalence amétropique de 20 à 30 %.
Nos résultats personnels, en tenant compte d’une marge d’incertitude, nous amènent actuellement à proposer un chiffre de 25 à 30 % d’amétropies à 5 ans.
Ceci confirme que la situation constatée chez nos enfants au 9e mois depuis maintenant 30 ans ne constitue nullement un quelconque artefact d’examen ou de re-cru-tement et ceci montre de toute évidence une attention particulière à accorder à la question du dépistage.
Conséquence des amétropies
Comme nous l’avons dit précédemment, dans les conditions naturelles, le cristallin peut modifier sa forme pour augmenter sa puissance de convergence mais pas pour la diminuer. Ceci implique en premier lieu que les myopies ne peuvent pas être compen-sées autrement qu’en se rapprochant de l’objet à examiner. En ce qui concerne la compensation de l’hypermétropie, le cristallin possède chez l’enfant une forte capacité accommodative (environ 15 dioptries) qui permet en théorie de faire face à des degrés élevés d’anomalie. Toutefois cette possibilité n’est pas totalement utilisable. Tout d’abord, si l’accommodation commence à se manifester pratiquement dès l’âge de 1 mois, elle n’est véritablement stable qu’à partir de l’âge de 5 à 6 mois. D’autre part cette accommodation est rapidement fatigable et peut conduire si elle perdure à son altération définitive. Enfin l’accommodation est systématiquement couplée à la convergence motrice et toute perturbation dans le rapport naturel et harmonieux entre ces 2 fonctions peut se traduire par un strabisme. Bien entendu l’accommodation ne règle pas le problème d’un éventuel astigmatisme.
Il apparaît donc que toute anomalie réfractive est susceptible de retentir ra-pi-dement sur l’acuité visuelle du nourrisson. Cet effet potentiel est cependant tempéré par 2 éléments. Le premier est l’existence du faible diamètre pupillaire à cet âge, qui permet l’existence d’une grande profondeur focale limitant donc l’existence du flou visuel. Le second est la prise en compte de l’immaturité rétinienne et corticale qui réduit la capacité à percevoir les images comme floues comme cela serait le cas chez l’adulte. Ces circonstances bénéfiques ne sont toutefois pas suffisantes pour les fortes amétropies.
Références
La bibliographie et un développement du sujet pourront être trouvés dans les ouvrages suivants :
- ANAES/Service recommandations et références professionnelles/Dépistage précoce des troubles de la fonction visuelle chez l’enfant pour prévenir l’amblyopie/Octobre 2 002.
- INSERM/Expertise Déficits visuels – Dépistage et prise en charge chez le jeune enfant/2 002
- Clergeau G. La réfraction de l’enfant. A & J Péchereau, éditeurs. Cahiers de sensorio-motricité. Nantes : FNRO Éditions ; 2 008 ; 380p.
Ces documents sont en lecture et en enregistrement libres sur le site : http://www.fnro.net/ (domaines : http:/www.strabisme.net/documents/ et http://www.larefraction.net/).
Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010