Réfraction de l'Enfant : La réfraction physiologique Guy Clergeau
Dans une première approche on peut définir la réfraction physiologique comme étant une situation permettant une focalisation normale de toutes les images sur le plan rétinien, ne s’accompagnant d’aucun trouble fonctionnel, et ne nécessitant pas de mécanisme de compensation anormalement important (accommodation). La fonction visuelle de l’enfant n’étant pas totalement mature avant l’âge de 4 ans il est nécessaire de distinguer 2 périodes pour satisfaire à ces critères.

De 0 à 4 ans


Pendant cette période le contrôle subjectif de l’acuité visuelle est impossible ou difficile et au mieux imprécis. La détermination des limites réfractives physiologiques repose sur 2 arguments indirects : la probabilité visuelle et les facteurs de risque.

La probabilité visuelle


Un point important est ici un aspect particulier de la physiologie qui fait que la maturité du système d’intégration des voies optiques et du cortex n’est totalement atteinte que vers l’âge de 4 ans à 5 ans. On peut donc supposer que seules les amétropies anatomiques ayant un réel retentissement visuel au moins théorique devront être prises en considération pour pouvoir parler d’amétropie. On connaît par la méthode du regard préférentiel ou par les tests préverbaux l’évaluation visuelle en équivalent décimal de la naissance à 4 ans. On peut à partir de ces données évaluer approximativement les valeurs critiques pour chaque paramètre. Ceci n’est en fait simple que pour la myopie qui en principe ne présente guère de possibilité d’accommodation négative. À l’inverse les capacités importantes d’accommodation permettent certainement de façon ponctuelle une large tolérance avec des variations selon la susceptibilité individuelle. En dehors des fortes hypermétropies il est impossible à ce stade de définir un degré précis d’anomalie. L’appréciation du retentissement de l’astigmatisme est également difficile mais au-delà de 1,50  ∂ on sait qu’il existe chez l’hypermétrope une sollicitation accrue du jeu accommodatif. Enfin toute anisométropie supérieure à 1,00  ∂ est un risque attendu de fixation rapidement préférentielle.

Les facteurs de risque


Ils ont été déduits à partir de résultats empiriques aboutissant à déterminer de façon prospective et rétrospective des niveaux d’amétropies à partir desquels apparaît de façon significative un risque d’amblyopie et/ou de strabisme (337). Tous les auteurs sont d’accord pour situer approximativement ces valeurs à +3,50  ∂ pour la sphère méridienne, à 1,50  ∂ pour le cylindre et à 1,00  ∂ pour l’anisométropie (Abrahamson [1], Atkinson [2], Ingram [6]). La myopie est considérée comme un risque à partir de -2,00  ∂. Ces normes ont été établies pour un âge de 6 à 12 mois.

Conclusion


En conclusion, il apparaît que le plafond hypermétropique est déterminé par la notion de facteur de risques. Il existe une correspondance satisfaisante entre risque visuel et oculomoteur pour l’astigmatisme et l’anisométropie. La limite myopique a plutôt une définition visuelle.
Le tableau 1a (graphique 1) rassemble les limites des normes physiologiques qui viennent d’être définies. Ces valeurs sont pour la plupart supérieures de 0,25  ∂ aux chiffres évoqués précédemment pour tenir compte de nos résultats personnels. On remarquera par ailleurs que ces valeurs se modifient avec l’âge, ce qui est rarement signalé dans la littérature.
Tab 1a. Normes physiologiques fonctionnelles.
6 mois9 mois1 an2 ans3 ans
Acuité décimale0,20,30,40,60,8
Limite supérieure sphère+4,00  ∂+3,75 ∂+3,50 ∂+3,25 ∂+3,00 ∂
Limite inférieure sphère-1,75  ∂-1,50 ∂-1,25 ∂-1,00 ∂-0,50 ∂
Cylindre absolu maximal2,00  ∂1,75 ∂1,50 ∂1,25 ∂1,00 ∂
Anisométropie maximale1,00  ∂1,00 ∂1,00 ∂0,75 ∂0,75 ∂

Dans le tableau 1b figure l’évolution des différents paramètres à l’intérieur des normes physiologiques. Il est important de ne pas faire de confusion avec les valeurs décrivant l’évolution de la réfraction globale qui représente la somme des réfractions physiologiques et des amétropies (page 104). L’évolution de la période allant de 9 mois à 3 ans est principalement caractérisée par une régression notable du cylindre. Celle-ci se traduit surtout par une diminution significative de la sphère méridienne tandis que la sphère de base augmente discrètement. Le résultat en est une quasi-stabilité de l’équivalent sphérique qui confirme l’impression constatée dans tous les bilans antérieurs d’une absence d’évolution significative de la réfraction sphérique entre 1 et 4 ans.
Tab 1b
6 mois9 mois1 an2 ans3 ans
Nombre dossiers1072 656598460319
Moyenne Équivalent Sphérique+1,74  ∂+1,57 ∂+1,54 ∂+1,57 ∂+1,47 ∂
Écart-type Équivalent Sphérique1,09  ∂1,08 ∂0,97 ∂0,81 ∂0,72 ∂
Moyenne Sphère Méridienne+2,13  ∂+1,92 ∂+1,81 ∂+1,77 ∂+1,65 ∂
Moyenne Sphère Base+1,34  ∂+1,22 ∂+1,26 ∂+1,36 ∂+1,30 ∂
Moyenne Cylindre absolu0,79  ∂0,70 ∂0,55 ∂0,41 ∂0,35 ∂

à partir de 4 ans


La confrontation entre réfraction subjective et réfraction cycloplégique devient la méthode la plus précise. On constate dans le tableau 2a que pour la sphère il n’y a plus de myopie. L’hypermétropie maximale régresse progressivement et à partir de 8 ans celle-ci doit être inférieure à +2,00  ∂ sous peine de donner au minimum une fatigue fonctionnelle. L’astigmatisme tolérable s’est très nettement réduit. L’astigmatisme direct est apparemment mieux toléré que l’astigmatisme inverse, lequel a disparu à 10 ans. Enfin dès lors que l’acuité a atteint sa capacité minimale de 10/10, l’anisométropie tolérée est au maximum de 0,50  ∂. Tous les travaux concordent pour confirmer qu’au-delà de cette valeur il y a effondrement de la vision binoculaire.
Tab 2a. Normes fonctionnelles physiologiques.
4 ans5 ans6 ans7 ans8 ans10 ans
Nombre dossiers259326244181105129
Sphère+2,75/0 ∂+2,50/0 ∂+2,25/0 ∂+2,00/0 ∂+1,87/0 ∂+1,75/0 ∂
Astigmatisme0,50/-0,50 ∂*0,50/-0,50 ∂0,50/-0,50 ∂0,50/-0,25 ∂0,50/-0,25 ∂0,50/0 ∂
Anisométropie0,50/0  ∂0,50/0  ∂0,50/0  ∂0,50/0  ∂0,50/0  ∂0,50/0  ∂

Dans les limites de la réfraction physiologique ont été déterminées les valeurs des autres paramètres réfractifs (tableau 2b).
Tab 2b
4 ans5 ans6 ans7 ans8 ans10 ans
Moyenne ES+1,34  ∂+1,18 ∂+1,01 ∂+0,91 ∂+0,73 ∂+0,71 ∂
Écart-type ES0,63  ∂0,56 ∂0,53 ∂0,52 ∂0,40 ∂0,41 ∂
Médiane ES+1,25  ∂+1,12 ∂+1,00 ∂+0,81 ∂+0,62 ∂+0,50 ∂
Moyenne |C|0,10  ∂0,15 ∂0,13 ∂0,13 ∂0,14 ∂0,12 ∂

Les valeurs réfractives du tableau 2b sont une des représentations de l’emmétropisation. Il faut toutefois signaler que les chiffres relevés à partir de l’âge de 8 ans sont en partie biaisés car une partie non négligeable de ces réfractions est dans un état pré myopique et ne devrait pas entrer dans l’analyse de la réfraction physiologique.

Conclusion


La combinaison des résultats statistiques et empiriques ainsi que des données physiologiques permettent donc d’établir une grille composite déterminant assez précisément les limites de la réfraction physiologique en fonction de l’âge.
Références
  1. Abrahamson M, Fabian G, Sjöstrand J. A longitudinal study of a population based sample of astigmatic children : I. Refraction and amblyopia. Acta Ophthalmol (Copenh). 1 990 ; 68 : 428-34.
  2. Atkinson J, Braddick OJ, Bobier W & al. Two infant vision screening programmes : prediction and prevention of strabismus and amblyopia from photo-and-video refractive screening. Eye. 1 996 ; 10 : 189-98.
  3. Brown EVL. Net average yearly change in refraction of atropinized eyes from birth to beyond middle age. Arch Ophthalmol 1 938 ; 19 : 719-34.
  4. Clergeau G. Évolution des amétropies. In : A & J Péchereau, éditeurs. La réfraction. Cahiers de sensorio-motricité. Nantes : FNRO éditions ; 2 000, p. 57-63.
  5. Clergeau G. Épidémiologie des amétropies. Description et Évolution. In : La vision de l’enfant de la naissance à la lecture. Ed : AFPSSU Paris ; 2 001, p. 33-43.
  6. Ingram RM. Refraction as a basis for screening children for squint and amblyopia. Br J Ophthalmol. 1 977 ; 61 : 8-15.
  7. 7. Slataper FJ. Age norms of refraction and vision. Arch Ophthalmol. 1 950 ; 43 : 466-481.

Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010