Introduction
Il apparaît d’abord essentiel de définir le plus précisément possible ce que l’on doit entendre sous la dénomination d’amétropie :
En termes d’optique statique il s’agit de toutes les situations ne correspondant pas à l’emmétropie stricte.
L’œil a physiologiquement la capacité de compenser un certain degré d’hypermétropie par le biais de l’accommodation. L’appréciation de cette limite est généralement clinique, basée sur l’apparition de baisse visuelle ou de troubles fonctionnels. Cette compensation est toutefois variable d’un individu à l’autre ainsi qu’en fonction de l’âge, l’acuité visuelle n’étant elle-même que difficilement mesurée de façon précise avant l’âge de 3 à 4 ans. Dans ces conditions la valeur plancher définissant l’amétropie reste approximative.
Dans le cadre du strabisme, la règle est de donner la correction optique totale, toute amétropie pouvant influer sur l’angle sans proportionnalité de degré. Il est alors habituel de parler d’amétropie significative et non significative en référence à la description précédente dont nous avons vu l’imprécision.
C’est la raison pour laquelle il peut apparaître intéressant d’aborder le problème non plus d’une manière subjective mais plutôt dans un cadre de probabilité statistique. Cette option repose sur un constat déjà ancien que les valeurs réfractives sont réparties chez l’homme d’une manière gaussienne (au moins apparentée) et que l’on peut donc utiliser les paramètres propres à ce mode de distribution et en particulier la moyenne et les écart-types.
L’écart-type ou déviation standard est la description algébrique de 2 points caractéristiques de la courbe gaussienne en forme de cloche qui sont la jonction des segments horizontaux et verticaux. La distance algébrique de ces 2 points en théorie symétriques de la ligne moyenne est de 1 DS. L’intérêt de cette valeur est qu’elle représente environ les 2/3 de la population étudiée et que lorsque cette population est une donnée biologique, on considère que l’échantillon ainsi délimité est physiologique (au sens statistique). Il est par ailleurs possible d’utiliser les multiples de la déviation standard : ainsi les valeurs de 2 et 3 DS délimitent respectivement environ 95 et 98 % de cette population. L’avantage de la méthode statistique est que les valeurs ainsi déterminées sont uniquement dépendantes de l’échantillon analysé et non plus de données subjectives.
Application pratique
Sur la base de cette description statistique il ne reste plus qu’à établir un certain nombre de grilles, une pour chacun des paramètres réfractifs. Il reste également à établir une corrélation avec une dénomination empirique des différents degrés d’amétropie :
• Les valeurs situées au-delà de 3 DS pourront être qualifiées de fortes à très fortes (amétropies degré 3).
• Au-dessus de 2 DS on parlera d’amétropies importantes ou nettement significatives (amétropies degré 2).
• Les valeurs supérieures à 1 DS seront qualifiées d’amétropies moyennes (amétropies degré 1).
Le plancher de 1 DS impliquant qu’environ 1/3 de la population est considérée comme statistiquement amétrope nous avons choisi arbitrairement de ramener pour cette étude ce plancher à (2 DS -0,50 ∂).
Il apparaît dans les grilles réfractives une concordance apparemment satisfaisante avec la description empirique classique. (Annexes I)
Description de la réfraction
On rappellera que les paramètres caractérisant la réfraction sont :
• La sphère la plus hypermétrope (sphère méridienne selon le terme anglo-saxon) ;
• La sphère la moins hypermétrope (sphère de base) ;
(Cette description s’entend avec l’utilisation de cylindres positifs. On pourrait aussi utiliser des cylindres négatifs pour la myopie et parler alors de sphère la plus amétrope et la moins amétrope).
• L’équivalent sphérique qui est la moyenne des 2 paramètres précédents ;
• Le cylindre ;
• L’anisométropie.
Or il apparaît que lorsque l’on veut essayer de décrire de façon la plus réelle possible une réfraction, l’utilisation de 2 paramètres est indispensable :
• Soit 2 paramètres sphériques ;
• Soit 1 paramètre sphérique associé au cylindre auxquels il faudra ajouter l’anisométropie.
Il n’est pas sans importance de constater que de beaucoup d’articles analysant la prévalence des amétropies, ne se base que sur un seul paramètre.
Évolution des amétropies - Étude transversale
Pour des raisons de simplicité méthodologique et surtout de recrutement, les études transversales sont les plus nombreuses. Elles permettent en fait de décrire l’évolution de la prévalence des amétropies en fonction de l’âge.
L’étude personnelle présentée ici rassemble une série de 3 343 enfants âgés de 8 à 59 mois, pour qui a été retenu uniquement le premier examen, réalisé dans le cadre d’examens purement systématiques en dehors de toute pathologie oculomotrice et exclusivement sous cycloplégie.
La prévalence élevée des amétropies est en partie liée à la méthodologie statistique, mais ce chiffre est amplifié par l’analyse multiparamétrique qui montre par exemple plus de 15 % d’amétropies de degré 2 et 3 alors que pratiquement aucun article de la littérature n’atteint les 10 %. (Annexe II)
Le constat intéressant de cette étude transversale est que la prévalence des différents degrés d’amétropies est globalement stable avec le temps ce qui suggère l’absence de régression des amétropies initiales. Mais on sait parfaitement que si une étude transversale donne une bonne image d’une population elle n’est pas forcément représentative de l’évolution individuelle de chaque sujet. Seule une étude longitudinale peut fournir une telle donnée.
Évolutions des amétropies - Étude longitudinale
Sur le plan de la méthodologie et du type d’information recherchée il y a lieu de préciser 2 éléments :
• Sur le plan paramétrique, on doit distinguer comme nous l’avons précisé l’étude mono paramétrique (sphère, cylindre, anisométropie) et l’étude globale qui établit une prévalence des sujets amétropes.
• Selon l’âge, il y a lieu de considérer un certain nombre d’étapes :
¬ Le point de départ a été fixé à la tranche des enfants de 9 à 13 mois soit un contingent de 2 347 dossiers dont sont issus 665 cas d’amétropies statistiques comme définies précédemment.
¬ Vers 24 mois l’emmétropisation (éventuelle) n’est probablement pas définitive et on parlera seulement de tendance positive, nulle ou négative vers la normalisation.
¬ Entre 4 et 7 ans c’est la période ou l’emmétropisation devrait en principe être effective.
¬ Après 7 ans la réfraction peut poursuivre son évolution mais l’interprétation en est beaucoup plus délicate par l’apparition possible d’une myopisation au sens large du terme. Nous limiterons donc cette étude à la 7e année.
L’étude mono paramétrique
Par simplification l’étude a été faite uniquement pour l’équivalent sphérique et pour les amétropies de degré 3 et 2.
Hypermétropie
| Degré 3
| Degré 2
| Moyenne départ
|
| +6, 00 ∂
|
| +4, 45 ∂
|
Moyenne
24 mois
| 48 mesures
| +5, 10 ∂
| 94 mesures
| +3, 60 ∂
|
Moyenne
5 à 7 ans
| 38 mesures
| +5, 05 ∂
| 81 mesures
| +3, 97 ∂
|
| La régression se limite à une dioptrie avec 1/3 des cas inchangés ou augmentés.
| La régression se limite à 0,50 ∂ avec plus de 40 % des cas inchangés ou augmentés.
|
Myopie
| Degré 3
| Degré 2
| Moyenne départ
|
| -3,00 ∂
|
| -1,05 ∂
| Moyenne
24 mois
| 20 mesures
| -2,68 ∂
| 73 mesures
| -0,54 ∂
|
Moyenne
5 à 7 ans
| 19 mesures
| -1, 95 ∂
| 86 mesures
| 0 ∂
|
| La régression se limite à 1 ∂ et il n’y a aucune emmétropisation.
| La régression moyenne conduit à l’emmétropisation théorique mais dans au moins 50 % des cas la myopie réapparaît à partir de 7 à 8 ans avec généralement un contexte d’antécédents familiaux.
|
Astigmatisme
Degré 3 (21 et 21 mesures)
• Moyenne départ = |3,96| ∂ ;
• Moyenne 24 mois = |3,19| ∂ ;
• Moyenne 5 à 7 ans = |2,45| ∂.
En dehors d’une régression insuffisante on notera surtout une différence d’évolution manifeste entre les astigmatismes directs (-0,20 ∂) et les astigmatismes inverses (-2,16 ∂).
Degré 2 (145 et 124 mesures)
• Moyenne départ = |2,69| ∂ ;
• Moyenne 24 mois = |1,81| ∂ ;
• Moyenne 5 à 7 ans = |1,34| ∂.
L’astigmatisme diminue de moitié mais l’astigmatisme résiduel est dans la limite des 2 DS.
Anisométropie
Degré 3 (17 et 16 mesures)
• Moyenne départ = 2, 44 ∂ ;
• Moyenne 24 mois = 1, 82 ∂ ;
• Moyenne 5 à 7 ans = 1, 81 ∂.
La régression se limite à 0,65 ∂ avec 1/3 des cas inchangés ou augmentés.
Degré 2 (35 et 38 mesures)
• Moyenne départ = 1, 37 ∂ ;
• Moyenne 24 mois = 1, 18 ∂ ;
• Moyenne 5 à 7 ans = 0, 86 ∂.
La régression est insuffisante pour retrouver une situation physiologique et 1/3 des cas sont inchangés ou augmentés.
Étude globale
Sur les 665 enfants présentant une amétropie, 458 ont été revus à 1 ou plusieurs reprises :
131 ont été revus aux environs de 24 mois : 71 d’entre eux ont montré une nette tendance à l’emmétropisation soit 54 % des cas.
327 ont été revus à 5 à 7 ans avec 116 dans une situation d’emmétropie physiologique soit 35,5 % des cas.
Si l’on fait une analyse différentielle c’est-à-dire en tenant compte du degré d’amétropie initiale :
• Dans le groupe 3 la persistance d’une amétropie est notée dans 75 % des cas ;
• Pour le groupe 2 elle est de 53 % ;
• Et pour le groupe 1 de 34 % ;
• Par ailleurs 11,4 % des amétropies proviennent du groupe considéré comme physiologique.
L’extrapolation de ces résultats à l’ensemble des 665 amétropies initiales montre une probabilité d’amétropies résiduelles de 16,8 % pour un contingent initial de 28 %. L’analyse complémentaire d’un échantillon de 340 dossiers issus du groupe initialement non amétrope montre l’apparition secondaire d’une amétropie significative dans 20 % des cas. Ceci amène à prévoir sur l’échantillon total des 2 347 dossiers de 31 % d’amétropies de 5 à 7 ans ce qui confirme mais avec une explication différente le résultat apporté par l’étude transversale. Il apparaît ainsi que pour des études ultérieures la limite statistique du physiologique doit logiquement être la valeur d’un écart-type.
Conclusion
Même s’il est essentiel de souligner que la présente étude n’est pas véritablement arrivée à son terme, le recul des observations allant de 1 à 20 ans, il apparaît 2 éléments concordants essentiels :
Sur le plan mono factoriel, la majorité des fortes amétropies ne présentent qu’une régression partielle ou nulle et la notion d’emmétropisation proportionnelle à l’amétropie mérite certainement d’être réévaluée.
Sur le plan global, le chiffre manifestement élevé des amétropies significatives (dans leur définition statistique et empirique) à l’âge de 9 mois et sa confirmation à 5 à 7 ans ne peuvent qu’inciter à réfléchir sérieusement sur l’intérêt d’une véritable procédure de dépistage précoce basée sur la réfraction même si cela semble poser quelques problèmes de réalisation pratique.
Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010