Introduction
Dans le strabisme, l’ensemble des auteurs s’accorde pour le principe de la correction optique totale qui joue un rôle à la fois dans le traitement de l’amblyopie et dans la stabilisation de la déviation angulaire.
Que l’on s’adresse à un enfant, un adolescent ou à un adulte, la prescription de la correction optique totale dans les strabismes aura un effet anti-accommodatif, antispasmodique, un effet sur l’angle de la déviation soit en le décompensant, soit en le stabilisant, un effet anti-amblyopique en améliorant l’acuité visuelle, et un effet anti-CRA en favorisant les processus fusionnels. La correction optique totale stabilise ainsi les mécanismes de compensation sensorielle.
C’est dire que le port de la correction totale en binoculaire aura certes une répercussion sur notre équilibre binoculaire mais qu’à l’inverse tout déséquilibre oculomoteur latent pourra expliquer une intolérance ou un inconfort au port de la correction optique. La connaissance exacte de l’état réfractif est une condition indispensable avant toute chirurgie notamment dans la chirurgie réfractive et la chirurgie de la cataracte bilatérale de même que la connaissance de l’équilibre oculomoteur pour éviter tout problème ultérieur d’inconfort visuel, d’aniséïconie voire de diplopie.
La correction optique sphérique
Elle agit sur l’équilibre binoculaire par deux mécanismes :
• Physiologique ;
• Optique
Le mécanisme physiologique
Le mécanisme physiologique de la correction sphérique a été bien étudié par Donders et repose sur la syncinésie accommodation, convergence et myosis. Ainsi, en vision binoculaire l’accommodation entraîne un effort proportionnel de convergence et il en découle que la correction optique supprimant l’accommodation va supprimer également la convergence.
Les verres concaves obligeant le patient à accommoder vont ainsi favoriser la convergence. Les verres convexes supprimant l’effort accommodatif vont diminuer la convergence.
Le mécanisme optique
Les lentilles non parfaitement centrées qu’elles soient convergentes ou divergentes, peuvent aboutir à un effet prismatique. Un léger décentrement en dedans ou en dehors équivaut à incorporer un prisme à la correction optique et peut avoir un effet néfaste sur l’équilibre binoculaire.
Rôle de la correction optique dans les strabismes ?
Dans les strabismes à vision binoculaire anormale
En situation binoculaire seule l’image fournie par l’œil fixateur est utilisée, l’autre étant neutralisée. La correction optique aura peu d’effet sur la binocularité mais un effet manifeste sur l’angle du strabisme. Ainsi, il est classique de voir améliorer les exotropies par des verres concaves et améliorer les ésotropies par des verres convexes par baisse de l’effet accommodatif.
Il est cependant indispensable de prescrire la correction optique totale même si le degré d’amétropie ne permet pas d’améliorer l’angle de la déviation.
En effet, la modification de l’angle est en moyenne de - 4,1 dioptries, effet que l’on peut considérer comme significatif. La correction optique totale a un effet non négligeable sur la valeur angulaire et ainsi sur le plan opératoire.
Dans les strabismes à vision binoculaire normale
On distinguera deux formes :
• Les strabismes accommodatifs purs où la correction optique, quel qu’en soit le mode par lunettes ou verres de contact, aboutit à une suppression de l’angle en vision de loin et en vision de près. Le port de la correction optique convexe peut à lui seul rétablir l’équilibre binoculaire.
• La deuxième forme est le strabisme accommodatif pur avec excès de convergence dans lequel l’intérêt des bifocaux ou des verres progressifs est manifeste et montre l’importance de la relation entre la correction optique totale, la fusion et la stéréoscopie.
Nous rappelons l’existence de formes certes très rares, dans lesquelles l’installation très précoce d’une ésotropie accommodative pure, non corrigée précocement peut aboutir au syndrome de monofixation par non-développement de la fusion bifovéale.
Dans l’ésotropie accommodative, la correction optique totale va différencier ainsi deux formes :
• L’ésotropie accommodative purement réfractive avec un rapport AC/A normal ;
• L’ésotropie accommodative non réfractive pure avec un rapport AC/A élevé.
Le pronostic de la restauration d’une binocularité normale dans l’ésotropie accommodative réfractive dépend strictement de la correction optique totale.
Si le patient est en situation de sous correction optique, il va hyperaccommoder pour voir nettement son image et va se trouver dans une situation d’excès de convergence. Si son amplitude fusionnelle en divergence compense l’excès de convergence, il peut rester dans une situation d’ésophorie.
Par contre, si cette amplitude fusionnelle motrice est insuffisante, il va perdre sa vision binoculaire et sa stéréoscopie et va réaliser une ésodéviation manifeste.
Dans les strabismes accommodatifs partiels, la relation accommodation-convergence permettra de distinguer deux formes :
• Les strabismes accommodatifs avec excès de convergence où l’accommodation convergence sur l’accommodation est élevée, dans lesquels la correction optique totale de l’hypermétropie va aboutir à une réduction angulaire mais il persiste en permanence un angle de loin et de près dont l’angle de près est prédominant.
• Le strabisme accommodatif partiel avec insuffisance de convergence et rapport AC/A bas ou sans excès de convergence et rapport AC/A normal dans lequel la prescription optique totale de l’hypermétropie aboutit à une réduction angulaire mais il va persister en permanence un angle à la fois de loin et de près dont la caractéristique en est la variabilité.
Rôle de la correction optique dans les hétérophories
Celles-ci sont la cause essentielle de la mauvaise tolérance de la correction optique.
Dans l’hétérophorie décompensée ou dans un déséquilibre oculomoteur latent, la correction optique peut perturber l’équilibre oculomoteur en agissant sur l’accommodation convergence ou par induction d’effet prismatique. Il est de ce fait recommandé de diagnostiquer les hétérophories avant toute prescription optique.
Les verres correcteurs peuvent améliorer le patient : concaves dans l’exophorie, convexes dans l’ésophorie mais si le patient présente une aggravation nette ou un inconfort, on peut avoir recours soit au traitement orthoptique, soit au traitement prismatique avant toute chirurgie en plaçant un prisme arête interne dans l’exophorie, arête externe dans l’ésophorie, arête supérieure du côté de l’hyperphorie, en répartissant ces prismes sur les deux yeux si la phorie dépasse 3 dioptries ou en demandant à l’opticien un léger décentrement des verres permettant d’obtenir un effet prismatique.
Rôle de la correction optique dans l’insuffisance de convergence
Celle-ci est volontiers associée à l’exophorie à moins qu’il ne s’agisse pas d’une réelle insuffisance de convergence difficile à déterminer cliniquement.
Le patient est souvent gêné en vision de près.
Il est de ce fait judicieux de bien examiner l’équilibre oculomoteur du patient avant la prescription des premiers verres progressifs chez un presbyte car l’adjonction d’un verre convexe peut bien sûr aggraver sa gêne de près.
Rôle de la correction optique dans les paralysies oculomotrices
Dans les paralysies oculomotrices où la déviation est incomitante, la correction optique prismatique n’est correcte que pour une position donnée.
Prescription d’une correction optique chez les anisométropes
L’anisométropie se définit comme une différence entre les deux yeux de 1,5 à 2 dioptries, ce qui entraîne une modification dans la perception de la taille des images et de ce fait une aniséïconie ainsi qu’une amblyopie chez l’enfant.
Cette aniséïconie est à l’origine d’un inconfort visuel. Sa tolérance varie d’un sujet à l’autre, l’enfant la supportant nettement mieux. L’astigmatisme en est particulièrement pourvoyeur.
• Correction optique d’une anisométropie chez un adulte : s’il s’agit d’une première correction et si le patient présente une amblyopie unilatérale, on pourra du côté de l’œil amblyope soit prescrire un verre afocal soit un verre identique au côté opposé pour répartir le poids dans la monture.
¬ Si le patient présente une amblyopie relative de 1 à 3/10e, on testera sa tolérance en binoculaire et en corrigera le bon œil, partiellement l’œil amblyope en gardant si possible 2 dioptries d’écart et en vérifiant la tolérance en binoculaire.
¬ Si le patient présente une isoacuité visuelle, on corrigera totalement des deux côtés si possible en surveillant la tolérance en binoculaire et en vérifiant l’état de la vision binoculaire.
¬ Si le patient est en situation d’inconfort, on diminuera la puissance des verres jusqu’à tolérance.
En cas de microstrabisme, d’hétérophorie avec neutralisation, la tolérance à l’aniséïconie est bien sûr meilleure.
• S’il s’agit de la nouvelle prescription d’une correction optique chez un anisométrope, s’il est amblyope, ou si l’œil anisométrope n’a jamais été corrigé, il faut se reporter à la situation d’une première prescription.
• Prescription optique de l’anisométropie chez l’enfant. Celui-ci tolère mieux l’aniséïconie avec des différences de 5 à 6 dioptries voire davantage jusqu’à 10, 12 dioptries.
Il est indispensable de lui donner au départ une correction par lunettes (voir pour certains par lentilles ou en alternance les deux modes de correction), la correction optique totale en y adjoignant une occlusion pour prévenir ou traiter une amblyopie.
Ultérieurement, la correction par verre de contact est une indication majeure de la correction d’une anisométropie en sachant que ce verre de contact va supprimer une grande partie de l’aniséïconie mais non la totalité.
Classiques inconvénients des verres bifocaux
Les verres bifocaux peuvent être à l’origine du phénomène du saut de l’image par passage de l’axe visuel du verre en vision éloignée au point de lecture mais ce saut de l’image n’est pas observé ni dans les montures à la Franklin ni dans les verres progressifs.
Il est à l’origine par contre d’un déplacement apparent de l’objet par effet prismatique au point de lecture, effet prismatique qui varie en fonction de l’amétropie en dioptries, du modèle de bifocal et de la puissance de l’addition. Ce déplacement apparent de l’objet peut entraîner chez le patient anisométrope une différence significative entre l’effet prismatique des deux yeux et ce déséquilibre prismatique peut être à l’origine d’une phorie verticale particulièrement intolérable pour le patient.
Vision binoculaire et implantation
Il semble que l’implantation en chambre postérieure, qu’elle soit en mono focal ou multifocal donne des résultats identiques en terme d’acuité visuelle aussi bien de loin que de près avec un meilleur résultat pour la stéréoscopie dans l’implantation multifocale ; par contre on observe de moins bons résultats en multifocal à la sensibilité aux contrastes (Journal Cataracte réfractive Surgery 25 (3), 399-404, Arens 1 999).
Vision binoculaire et cataracte traumatique unilatérale
La qualité de la vision binoculaire est directement corrélée à la précocité de la prise en charge chirurgicale et au mode de correction optique.
Conclusion
Lorsqu’un patient présente une mauvaise tolérance optique, il faut avoir recours systématiquement aux cycloplégiques, diagnostiquer tout déséquilibre oculomoteur latent, toujours mesurer la correction optique en binoculaire en fin de réfraction, ne pas changer brutalement une forte correction optique cylindrique antérieure et réduire les écarts des corrections optiques asymétriques surtout si le patient présente un axe oblique asymétrique.
Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010