Réfraction de l'Enfant : Réfraction subjective sous cycloplégie Guy Clergeau

Introduction


La détermination de la réfraction sous cycloplégie par skiascopie ou par autoréfractométrie reste de manière générale le passage obligé dans le traitement des troubles réfractifs en particulier en cas d’amblyopie ou de strabisme. Toutefois, pour les diverses raisons précédemment exposées, ces méthodes qualifiées d’objectives comportent un certain nombre de sources d’erreur. C’est pourquoi le contrôle subjectif sous cycloplégie et sur montures d’essai est susceptible d’apporter des précisions supplémentaires avant de réaliser une prescription. L’objectif de ce chapitre sera donc de vérifier si ce contrôle subjectif constitue la référence réfractive, autrement dit si l’on peut le qualifier de « juge de paix ».

Protocole d’étude


Avant de pouvoir évaluer les qualités respectives des différents examens, il apparaît indispensable de définir précisément les critères de cette analyse.
En marge des différents problèmes liés à l’examen, la comparaison entre l’examen objectif et l’examen subjectif présente des contraintes :
  • Tout d’abord l’examen n’est a priori concevable que pour des réponses fiables, nécessitant coopération et lecture d’optotypes et si possible une notion du mieux et du moins bien. Il est toutefois apparu qu’il était possible d’obtenir une lecture fiable avec les dessins à partir de l’âge de 4 ans.
  • D’autre part la seule mesure théoriquement fiable étant la réfraction totale, cette comparaison doit être faite préférentiellement chez des porteurs de correction totale. C’est la raison pour laquelle l’échantillonnage de référence sera constitué par une population de strabismes.
  • Enfin pour définir la validité relative des 2 examens sous cycloplégie il faudra prendre un référentiel, qui sera la réfraction subjective optimale sans cycloplégie. Pour l’astigmatisme, il convient d’y ajouter la kératométrie, cette dernière permettant en particulier de réaliser un étalonnage du cylindre skiascopique. Les réfractions sous cycloplégie expriment un astigmatisme total. Pour pouvoir évaluer la validité de cette mesure il est intéressant de la corréler à celle de l’astigmatisme cornéen antérieur. Cette comparaison a été établie sur 1 064 mesures réalisées chez des enfants de 5 à 9 ans :
  • L’étendue des données était de -4,75 à +5,75  ∂ pour la skiascopie et de -4,50 à +5,50  ∂ pour la kératométrie.
  • Pour un astigmatisme skiascopique nul l’astigmatisme cornéen mesuré a été de +0,625  ∂ ±0,43 avec 86  % des mesures dans l’intervalle ±0,50  ∂.

Amétropies strabiques


Comparaison des astigmatismes


Dans un travail antérieur (Clergeau & al) [1], cette comparaison a été établie sur 480 mesures correspondant à 240 strabismes. Les valeurs trouvées ont été les suivantes :
  • C1 (skiascopie sous cycloplégie) = +0,43  ∂ ±1,27 ;
  • C2 (subjectif sous cycloplégie) = +0,40  ∂ ±1,24 ;
  • C3 (subjectif sans cycloplégie) = +0,33  ∂ ±1,22 ;
  • C4 (Javal) = +0,75  ∂ ±1,26 (= excédent de 0,125 par rapport à +0,625).
Ces résultats montrent l’absence de différence significative entre C1 et C2. Il existe une discrète surcorrection par rapport à C3 et une surestimation sensible par rapport au Javal (+0,30  ∂). La similitude des écart-types permet de valider ces comparaisons.
Il apparaît ainsi que quelle que soit la méthode utilisée, la mesure du cylindre n’aura pas globalement d’influence sur les mesures de la sphère.

Comparaison des sphères


Celle-ci a été réalisée sur la même série de 240 strabismes :
  • S1 (skiascopie + cycloplégie) = +3,45  ∂ ±2,84 ;
  • S2 (subjectif + cycloplégie) = +3,40  ∂ ±2,81 ;
  • S3 (subjectif sans cycloplégie) = +3,10  ∂ ±2,77.
Comme pour le cylindre, il n’y a pas de différence significative manifeste entre S1 et S2. Il existe une surcorrection modérée de 0,25 à 0,50  ∂ par rapport à la correction subjective optimale.
Une autre série de 850 mesures a montré l’identité stricte de la moyenne des résultats skiascopiques et subjectifs sous cycloplégie avec 78  % des cas à 0 ±0,25  ∂. Il n’a par ailleurs été noté aucune différence en fonction du degré d’amétropie.

Conclusions


D’une part, il n’est pas apparu de différence cliniquement significative entre l’évaluation de la réfraction totale sous cycloplégie par mesure skiascopique et par contrôle subjectif. Ce constat conforte l’idée que la skiascopie (et éventuellement l’autoréfractométrie) est totalement fiable et suffisante pour le suivi et le traitement des troubles réfractifs et moteurs du jeune enfant.
D’autre part, si nous analysons non plus la moyenne statistique mais les cas individuels, on s’aperçoit que les écarts entre les mesures sous cycloplégie et sans cycloplégie sont plus fréquents et plus importants pour la skiascopie que pour le contrôle subjectif (60  % contre 40  %). Toutefois cette différence n’apparaît pas suffisante pour réduire la validité de la réfraction objective.

Amétropies non strabiques


Comme nous l’avons vu précédemment, la correction optique du strabique a pour caractéristique d’être en principe totale. Ce n’est pas toujours le cas pour les amétropies non strabiques et en particulier pour les réfractions moyennes et sans amblyopie. Plusieurs types de comparaisons ont été réalisés.

Comparaison skiascopie/subjectif cycloplégique


Cette étude comporte 1 000 mesures pour 500 enfants âgés de 4 à 10 ans. La différence moyenne globale a été de -0,12 dioptrie ±0,27, soit une valeur discrètement supérieure pour le contrôle subjectif. Les écarts maximaux ont été de +1,00  ∂ et -1,00  ∂, 84  % des mesures étant à ±0,25  ∂ et 96  % à ±0,50  ∂ dans une distribution gaussienne leptokurtique.

Les variations en fonction de l’âge


Elles figurent au tableau 5. Il n’apparaît aucune différence notable. Les valeurs légèrement supérieures des tranches d’âges les plus élevées sont probablement liées à plus de précision dans les réponses.
Tab 5. Variations en fonction de l’âge.
âge4 ans5 ans6 ans7 ans8 ans9 ans10 ans
Nombre4220619020615587116
Variation-0,08 ∂-0,11 ∂-0,11 ∂-0,13 ∂-0,13 ∂-0,14 ∂-0,14 ∂

Les variations en fonction de la réfraction


Elles figurent au tableau 6. Il existe ici des différences manifestement significatives qui portent sur les amétropies les plus faibles de -0,75 à +0,75  ∂. Ces variations vont pour la plupart dans le sens d’une insuffisance apparente de la cycloplégie qui apparaît préférentiellement dans la sollicitation accommodative de près.
Tab 6. Variations en fonction de la réfraction.
Réfraction1,00 ¶ ²-0,75 ˆ -0,25 0 +0,25 ˆ +0,75³ +1,00
Nombre445055374477
Variation-0,05 ∂ ±0,28-0,41 ∂ ±0,32-0,30 ∂ ±0,23-0,20 ∂ ±0,23+0,02 ∂ ±0,25

Comparaison skiascopie/subjectif cycloplégique/subjectif non cycloplégique maximal




Pour 70 mesures les résultats ont été les suivants :
  • Moyenne skiascopie = +0,93  ∂ ±1,22 ;
  • Moyenne subjectif cycloplégique = +0,92  ∂ ±1,12 ;
  • Moyenne subjectif non cycloplégique maximal = +0,31  ∂ ±0,85.

Comparaison skiascopie/subjectif cycloplégique/correction prescrite


Pour 150 mesures :
  • Moyenne skiascopie = +0,89  ∂ ±2,47 ;
  • Moyenne subjectif cycloplégique = +0,84  ∂ ±2,30 ;
  • Moyenne correction prescrite = +0,21  ∂ ±1,98.

Comparaison subjectif cycloplégique/correction prescrite


Pour 172 mesures :
  • Moyenne subjectif cycloplégique = +0,71  ∂ ±2,23 ;
  • Moyenne correction prescrite = +0,18  ∂ ±2,01.

Conclusions


La comparaison des résultats de ces 3 dernières analyses confirme d’une part l’identité entre les réfractions objectives et subjectives sous cycloplégie, et d’autre part un écart identique entre examen subjectif avec cycloplégie et la correction optique maximale tolérée ainsi que la correction donnée, soit pour un total de 388 mesures :
  • Moyenne subjectif cycloplégique = +0,79  ∂ ±2,10 ;
  • Moyenne correction prescrite = +0,18  ∂ ±2,01.
L’écart est donc de 0,50 à 0,60  ∂.

Réfraction physiologique


Les conditions de cette analyse sont celles d’un examen ponctuel chez un sujet n’ayant aucune anomalie visuelle ou fonctionnelle et donc pas de correction optique. La recherche de la réfraction subjective maximale sans cycloplégie permet en principe d’évaluer l’hypermétropie latente physiologique. Pour 44 mesures, les résultats ont été les suivants :
  • Moyenne skiascopie = +0,70  ∂ ±0,51 ;
  • Moyenne subjectif = +0,24  ∂ ±0,37.
Ce résultat n’est donc pas différent de celui trouvé précédemment, l’hypermétropie latente physiologique étant de l’ordre de 0,50  ∂.
Cette notion de correction maximale ponctuellement tolérée est différente de la notion de limites physiologiques de la réfraction qui exprime les li-mites de tolérance de la non-correction d’une amétropie anatomique grâce à l’accommodation (page 8).

Myopies et Hypermétropies


Chez les sujets non strabiques porteurs d’une correction optique, une étude différenciée entre les myopes et les hypermétropes, a montré un compor-tement accommodatif significativement différent. Pour les myopes- on retrouve une quasi-identité entre les réfractions sous cycloplégie et la réfraction subjective sans cycloplégie, confirmant qu’un myope bien corrigé utilise sa correction totale sans spasme accommodatif. Il n’y a pas de différence manifeste entre faible et forte myopie. Par contre dans l’hypermétropie, la différence moyenne atteint 0,75  ∂, un peu plus dans les hypermétropies moyennes et un peu moins dans les hypermétropies fortes, ces dernières demandant la correction subtotale ou totale.

Conclusion


L’étude de l’ensemble des situations cliniques montre qu’il n’y a pas globalement de différence statistique entre l’examen objectif sous cycloplégie et l’examen subjectif sous cycloplégie. Sur le plan individuel il existe toutefois dans 16  % des cas une différence sensible. Cette différence est le plus souvent (12,5  % contre 3,5  %) une sous-évaluation de la réfraction pour l’examen objectif. Celle-ci est probablement liée à une cycloplégie insuffisante. Les surévaluations sont moins explicites surtout lorsqu’elles atteignent la dioptrie.
La comparaison des examens sous cycloplégie avec la correction optique tolérée montre que cette dernière est totale dans le strabisme et dans la myopie. Par contre, elle est sensiblement inférieure dans la plupart des hypermétropies non strabiques. Cette différence traduit une hypermétropie latente moyenne d’environ 0,50 dioptrie et dont la décompensation dépend en fait du port permanent de la correction optique totale. L’acceptation de cette décompensation ne pose pas de problème dans le strabisme, l’amblyopie et les fortes amétropies. Elle n’est pas indispensable, voire non tolérée, dans les amétropies simples. Inversement il n’y a aucune justification à sous corriger volontairement une amétropie.
Il est intéressant de constater que le plus souvent l’hypermétropie latente physiologique est quasi identique chez le strabique et le non strabique (80  % des cas). Mais comme nous le verrons ultérieurement dans l’évolution de la réfraction, l’existence d’un spasme accommodatif n’est pas prévisible chez le strabique ni parfois en cas d’asthénie visuelle.
Au total il existe donc une excellente corrélation entre réfraction objective et réfraction subjective sous cycloplégie. Toutefois, la réfraction subjective sous cycloplégie ne constitue pas un référentiel absolu car elle nécessite la part subjective du sujet examiné, mais c’est l’examen qui paraît le moins faussé par le résidu accommodatif éventuel. On peut considérer que le résultat optimal est obtenu chez le strabique porteur de sa correction totale permanente, chez qui la réfraction sans cycloplégie devient identique à la réfraction sous cycloplégie.
Références
  1. Clergeau G, Péchereau A. La réfraction subjective sous cycloplégie : le juge de paix. Bull SSCO. 2 001-2 002 ; p69-71.

Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010