Réfraction de l'Enfant : la réfraction du nouveau-né à terme Guy Clergeau & Mireille Morvan

Introduction


L’absence de tout travail récent sur la réfraction du nouveau-né à terme laisse entendre que la question est parfaitement résolue. L’analyse de la littérature montre néanmoins de grandes disparités de résultats entre petite myopie et hypermétropie significative.
Le problème de la réfraction du nouveau-né a fait l’objet de nombreux travaux depuis le milieu du XIXe siècle, parmi lesquels on peut distinguer 2 périodes méthodologiques, faisant appel successivement à l’ophtalmoscopie puis à la skiascopie à partir de 1 920. Nous emprunterons largement à Goldschmidt [20], Cook [7] et Banks [3] le résumé historique.

Historique


  • Von Jaëger (1 861) [34] a examiné 100 enfants de 9 à 16 jours. En l’absence de cycloplégie, 17 enfants seulement ont été trouvés hypermétropes, 5 emmétropes et 78 myopes.
  • Ely (1 880) [11] a étudié la réfraction de 100 yeux d’enfants dont 80  % avaient moins de 2 semaines et le reste jusqu’à 8 semaines. La réfraction est apparue quasi identique chez les filles et chez les garçons. Tous les yeux étaient atropinisés, y compris ceux de l’examinateur. L’hypermétropie était présente dans 72  % des cas et la myopie dans 11  %. Un contrôle complémentaire sur 49 yeux avec une faible solution d’atropine et sans atropine pour l’examinateur, montrait une nette augmentation des myopes à 38  % avec 58  % d’hypermétropes. L’auteur concluait à la difficulté technique de l’examen.
  • Horstmann (1 880) [28] a examiné 40 enfants entre le 8e et le 20e jour. 4 enfants présentaient une myopie de 0,50 à 1 dioptrie. Dans une nouvelle série étudiée en 1 884 [29], sur 50 enfants, il a été trouvé 2 myopies.
  • Königstein (1 881) [35] n’a trouvé aucun cas de myopie parmi 562 globes examinés, 10 seulement étaient emmétropes, le restant hypermétropes, la plupart d’entre eux entre 2 et 3 dioptries. Tout juste 2  % des mamans étaient myopes.
  • Schleich (1 884) [52] a examiné 300 globes, tous étant apparus hypermétropes. Aucune variation n’a été observée au cours des 14 premiers jours de vie et aucune corrélation n’a été trouvée entre le poids de naissance et l’état réfractif.
  • Bjerrum (1 884) [5] a examiné au Danemark 87 enfants entre la 7e heure et le 14e jour. La réfraction était mesurée en effectuant la mise au point de l’ophtalmoscope sur les vaisseaux péri papillaires. Sur les 61 enfants hypermétropes 38 étaient à +4,00  ∂ et 15 à +2,00  ∂. Bjerrum mentionnait que l’hypermétropie était particulièrement prononcée chez les enfants les plus jeunes (moins de 5 jours) et diminuait chez les enfants un peu plus âgés.
  • Ulrich (1 884) [58] a examiné 102 nouveau-nés et tous étaient hypermétropes.
  • Germann (1 885) [16] a examiné 110 enfants jusqu’au 80e jour et les a tous trouvés hypermétropes. L’examen de 168 yeux au cours du 1er mois montrait une moyenne de +5,37  ∂, tandis que 40 yeux examinés au cours du second mois donnaient une moyenne de +3,30  ∂.
  • Herrnheiser (1 892) [26] a trouvé de la myopie dans seulement 1 cas sur un total de 1 920 yeux examinés.
  • Biegel (1 893) n’a trouvé que de l’hypermétropie chez 39 bébés, tandis que de Vries (1 901) a trouvé 5 cas de myopie sur 78 enfants.
Tab 1
AuteursCycloplégieNb enfants% H% E% MMoyenneécart-type
Von Jaëger 1 861010017  %5  %78  %??
Ely 1 880Atropine5072  %17  %11  %??
Horstmann 1 880Atropine4070  %20  %10  %??
Königstein 1 881Atropine28198  %2  %0  %??
Schleich 1 884Atropine150100  %0  %0  %+4,40  ∂?
Bjerrum 1 884Atropine8770  %26  %3  %??
Horstmann 1 884Atropine5088  %10  %2  %+2,40  ∂?
Ulrich 1 884?102100 %0 %0 %??
Germann 1 885Atropine110100  %0  %0  %+4,84  ∂?
Herrnheiser 1 892Atropine96099  %0  %0,1  %+2,30  ∂?
Biegel 1 893?39100 %0 %0 %??
De Vries 1 901Atropine7880  %14  %6  %+2,40  ∂?

Tab 2
AuteursCycloplégieNb enfants% H% E% MMoyenneécart-type
Wibaut 1 925Atropine 1  %2 39899  %0  %1  %+2,61  ∂?
Santonastaso 1 930Atropine 1  %30???+0,70 ∂2,9
Franceschetti 1 935Atropine 1  %100???+2,00 ∂?
Cook 1 951Atropine 1  %50073  %?23 %+1,80 ∂3,1
Mehra 1 965Atropine 1  %10080  %1  %9  %??
Gonzales 1 965?83???+2,60 ∂1,9
Goldschmidt 1 969Atropine 0,50  %35655,9  %19,9  %24,2  %+0,60  ∂2,2
Patel 1 970Atropine 1  %250???+2,30 ∂1,2
Hosaka 1 971Atropine 1  %280???+2,20 ∂1,8
Zonis 1 974Tropicamide30073,8  %11,7  %14,5  %+1,10  ∂1,6
Hopkinson 1 992Cyclopentolate10099  %1  %??

Les études ultérieures ont été réalisées sous skiascopie, la quasi-totalité d’entre elles utilisant l’atropine à 1  %.
  • Wibaut (1 925) [60] a présenté une synthèse composite de résultats provenant de plusieurs examinateurs, réunissant 2 398 nouveau-nés. En dépit de discordances entre les différents travaux, il est apparu 99  % d’hypermétropies avec une moyenne de +2,61  ∂.
  • Santonastaso (1 930) [47] a examiné 30 enfants. La moyenne réfractive a été de +0,70  ∂ ±2,90.
  • Franceschetti (1 935) [14] a examiné 200 yeux chez des enfants de 3 à 16 jours. La skiascopie a été pratiquée sur les 2 méridiens avec des valeurs de +1,40  ∂ en horizontal et +2,50  ∂ en vertical (équivalent sphérique = +2,00  ∂).
  • Cook (1 951) [7] a examiné 1 000 yeux d’une population comportant 185 enfants de race blanche et 315 enfants de race noire. La skiascopie était pratiquée à 50 cm avec blépharostat. Globalement (en incluant les astigmatismes composés) il a été trouvé 73  % d’hypermétropies, 23  % de myopies, l’ensemble des astigmatismes représentant 38,4  %. La moyenne globale est de +1,80  ∂ ±3,10. L’analyse séparée des 2 populations montre toutefois des différences très nettes dans la répartition des amétropies : les myopies moyennes et fortes (> -3 ∂) se retrouvent exclusivement chez les enfants noirs, tandis que sont présentes dans les 2 groupes les hypermétropies fortes (> +5 ∂), la moyenne réfractive étant de +2,06  ∂ chez les blancs et +1,21  ∂ chez les noirs.
  • Graham (1 963) [23] a examiné sous hyoscine, 98 nouveau-nés avec une moyenne de +2,40  ∂ ±2, 30.
  • Mehra (1 965) [39] a étudié 100 nouveau-nés d’une population indienne. Il a été trouvé 80  % d’hypermétropes dont 29  % entre +3  ∂ et +10  ∂ et 9  % de myopes. Les garçons seraient sensiblement plus hypermétropes que les filles. Surtout il a été noté 12  % d’astigmatismes supérieurs à 2 dioptries. Il n’est pas apparu de relation entre le poids de naissance et l’hypermétropie.
  • Goldschmidt (1 969) [20] a examiné 356 enfants de 2 à 10 jours. La skiascopie a été réalisée à 50 cm. La moyenne globale est de +0,60  ∂ ±2,20 avec une différence sensible entre les garçons (+0,76 ∂) et les filles (+0,47 ∂). Le nombre de myopies est élevé à 24,2  %.
  • Patel (1 970) [46], a également examiné 250 nouveau-nés d’une population indienne à 0 à 1 jour. La moyenne a été de +2,30  ∂ ±1,20.
  • Hosaka (1 970) [30] a examiné 280 nouveau-nés de 0 à 1 jour avec une moyenne de +2,20  ∂ ±1,80.
  • Zonis (1 974) [64] a réalisé une analyse de 300 nouveau-nés de plus de 2 500 g avec un mélange de prématurés. Le protocole comporte l’instillation de tropicamide. La moyenne a été de +1,10  ∂ ±1,60. Le pourcentage de myopies est relativement élevé à 14,5  % et surtout il a été trouvé 17,3  % d’anisométropies.
    La synthèse de ces travaux figure aux tableaux 1 et 2.
  • Hopkinson (1 992) [27], dans le but de valider la skiascopie pour l’examen du jeune enfant, a fait une étude sur 100 nouveau-nés, avec une étude prolongée jusqu’à 1 an. Le terme était défini comme > 2 300 g. En l’absence de valeur moyenne, il est apparu une répartition de 1  % de myopie, 18  % de cas entre 0 et +2,25  ∂, 56  % de +2,50 à +4,00  ∂ et 25  % > +4,00  ∂.
Un certain nombre d’autres données proviennent d’études comparatives avec des séries de prématurés :
  • Gernet (1 964) [17] a trouvé une sphère moyenne de +2,75  ∂,
  • Luyckx (1 966) [38] de +2,40  ∂,
  • Grignolo (1 968) [24] de +0,52  ∂,
  • Blomdahl (1 979) [6] de +0,50  ∂,
  • Gordon (1 985) [22] de +0,50  ∂,
  • Saunders (2 002) [51] de +3,47  ∂,
  • Snir (2 004) [55] de +2,49  ∂.
  • Et enfin Varughese (2 005) [59] de +2,40  ∂.
Il faut enfin signaler quelques études ultrasonographiques qui sont devenues d’actualité pertinente dans la compréhension de la physiologie et de la pathologie réfractive, là encore dans la comparaison avec la réfraction du prématuré. Ces résultats, cités par Cook (2 003) [8] figurent au tableau 3. Ils concernent principalement la longueur axiale totale (LA), la profondeur de la chambre antérieure (PCA), l’épaisseur du cristallin (EpC) et la longueur de la cavité vitréenne (LCV). Il faut y ajouter quelques valeurs concernant le rayon de courbure cornéenne mesuré à 7 mm par Blomdahl [6] et la puissance réfractive cornéenne mesurée à 51,2  ∂ par Gordon [22], 47  ∂ par Inagaki [32] et 48  ∂ par Snir [55].
Tab 3.
AuteursLAPCAEpCLCV
Gernet (1 964) [17]17,5 mm2,90 mm3,40 mm-
Luyckx (1 966) [38]17,6 mm2,55 mm3,65 mm10,80 mm
Larsen (1 971) [36]16,8 mm2,38 mm3,95 mm10,33 mm
Yamamoto (1 978) [63]17,8 mm2,35 mm3,82 mm-
Gordon (1 985) [22]16,8 mm---
Fledélius (1 992) [12]17,3 mm---
Isenberg (1 995) [33]16,2 mm2,00 mm3,80 mm10,50 mm

Étude personnelle


Méthode et matériel d’étude


Une étude spécifique du nouveau-né a été réalisée dans le cadre plus large d’un travail sur l’évolution de la réfraction entre le 1er et le 10e mois. La proposition de cet examen était faite aux parents lors du séjour en maternité au Centre Hospitalier de Paimpol entre octobre 2 001 et février 2 003. L’accord a été donné dans plus de 95  % des cas et de ce fait il n’y a donc a priori aucun biais de recrutement quant aux antécédents familiaux potentiels. Il s’agit par ailleurs d’une population très homogène, essentiellement Bretonne et locale.
L’examen était réalisé entre le 1er et le 6e jour, après une préparation 1/2 heure auparavant par 1 goutte de tropicamide +1 goutte d’homatropine. Le choix de cette association par rapport à l’atropine a été basé sur le fait que le personnel paramédical impliqué ne ressortait pas de notre responsabilité et que la nécessité de plusieurs instillations pendant plus d’un jour aurait nettement compliqué le protocole. La technique utilisée a été la skiascopie à fente avec dans la plupart des cas écartement manuel des paupières. Cette manœuvre était réalisée par nous-même, la même main servant par ailleurs de support au verre correcteur. Ceci impliquait une distance d’examen d’environ 30 à 35 cm, et par conséquent une soustraction d’environ 3,00 dioptries au résultat réfractif brut. Les valeurs réfractives n’ont été retenues que lorsque la dilatation pupillaire était parfaitement stable soit pour 211 enfants nés à terme (> 36 semaines).

Résultats


La réfraction sphérique moyenne globale (pour l’œil droit) a été de +3,54  ∂ ±1,45, la tranche de ±1 écart-type regroupant 71,5  % des observations (dans la quasi-totalité des cas il n’a pas été trouvé d’astigmatisme). Les réfractions s’étendent de -1,00  ∂ à +6,50  ∂ mais avec une seule myopie sur les 211 observations. La médiane se trouve pratiquement à +3,00  ∂.
Compte tenu du déroulement peu orthodoxe de la skiascopie et par conséquent d’une incertitude relative non négligeable sur les résultats obtenus, à laquelle s’ajoutent de possibles écarts dans les horaires prévus pour l’instillation, il est apparu utile d’avoir des contrôles ultérieurs à titre de référence. À partir de l’examen initial en maternité, il était systématiquement programmé un premier contrôle (sous atropine 0,30  % 1 jour 1/2) à 1, 2, 3 ou 4 mois (de façon randomisée). Ainsi sur les 211 enfants 41 ne sont pas revenus, 44 ont été vus à 1 mois, 41 à 2 mois, 42 à 3 mois et 43 à 4 mois. La valeur moyenne retrouvée pour les 170 contrôles a été de +3,60  ∂ ±1,54, ne révélant donc aucune évolution globale significative. Néanmoins l’étendue des situations individuelles était importante, allant de 4,25  ∂ en augmentation à 2,75  ∂ en diminution. Toutefois l’intervalle de ±1 écart-type par rapport à la moyenne rassemblait 74,7  % des observations. L’interprétation de cette dispersion amène à envisager 2 phénomènes différents.
En ce qui concerne les augmentations réfractives par rapport à la mesure initiale, on est fortement amené à évoquer une sous-estimation de l’hypermétropie initiale. En effet, le schéma évolutif mis en évidence dans nos dossiers pour la période de 1 à 5 mois (sous atropine 0,30  %) montre globalement une régression progressive de la réfraction moyenne. Pour des raisons d’évolution anatomique il apparaît peu logique que la réfraction du nouveau-né soit significativement inférieure à celle du 1er mois. Il faut néanmoins rappeler qu’une hypermétropisation secondaire est souvent signalée chez le prématuré et que l’on ne peut exclure ce phénomène chez l’enfant né à terme (page 169).
Les régressions réfractives sont par contre plus ambiguës puisqu’il pourrait s’agir inversement d’une surestimation technique lors du 1er bilan. Mais il reste plus probable qu’il s’agisse réellement du début du processus d’emmétropisation. L’évolution de la moyenne réfractive n’est toutefois pas strictement uniforme puisque l’on retrouve une diminution de 0,11  ∂ à 1 mois, une augmentation de 0,48  ∂ à 2 mois et de 0,54  ∂ à 3 mois puis une diminution de 0,21  ∂ à 4 mois. Cette situation est discutée plus loin.
Compte tenu de ces hypothèses, il nous a semblé logique d’apporter un correctif en remplaçant les données initiales du premier examen par celles constatées ultérieurement en cas d’augmentation de l’hypermétropie (79 cas/170). Dans cette nouvelle situation la gamme réfractive s’étendrait de 0,00  ∂ à +8,00  ∂, avec une moyenne de +4,07  ∂ ±1,48, et 75,4  % des observations à ±1 écart-type. Cette valeur peut être considérée comme un plancher puisqu’il n’a pas été tenu compte de l’emmétropisation possible. Ce correctif permet en outre une certaine compensation à l’insuffisance de cycloplégie liée à notre protocole.
Nous avons essayé d’apporter d’autres arguments pour démontrer cette insuffisance initiale de cycloplégie. Nous avons ainsi comparé la réfraction initiale et la variation constatée lors du contrôle ultérieur (tableau 4). Les résultats semblent confirmer que plus la réfraction initiale est faible et plus le risque d’hypermétropie latente est élevé en fréquence et en valeur (le même phénomène a été constaté dans l’évolution de la réfraction du strabique).
En ce qui concerne l’astigmatisme, nous n’en avons relevé que 4 cas. Il est évident que la difficulté d’obtenir une grande ouverture de la fente palpébrale rend difficile cette évaluation.
Enfin l’anisométropie n’a été relevée que dans un seul cas, avec une valeur de 2 dioptries, qui a été strictement confirmée dans tous les contrôles successifs.
Tab 4. Comparaison au 2e contrôle.
Réfraction initiale mesurée% d’augmentation secondaireÉcart à la réfraction initiale en  %Écart en dioptries
≥ +6,00  ∂12,5 %+14,8 %+1,00 ∂
≥ +5,00 ∂20,0 %+15,5 %+1,00 ∂
≥ +4,00 ∂38,0 %+18,3 %+1,14 ∂
≥ +3,00 ∂37,0 %+31,9 %+1,80 ∂
≥ +2,00 ∂67,0 %+30,7 %+1,20 ∂
≥ +1,00 ∂70,0 %+46,8 %+1,66 ∂
< +1,00 ∂80,0 %+140,0 %+2,12 ∂

Discussion


La très grande majorité des travaux retiennent la grande prédominance des hypermétropies et leur caractère manifestement congénital à l’inverse des myopies. Cette conception de la réfraction du nouveau-né a été confirmée dans des ouvrages généraux : Ball (1 919) [2], De Schweinitz (1 921) [53], Fuchs (1 924) [15], Fox (1 924) [13], Berens (1 936) [4], Duke-Elder (1 949) [9]. Néanmoins on constate au travers des diverses publications des divergences importantes sur la prévalence de la myopie congénitale mais aussi sur la réfraction moyenne. En effet si les chiffres de +2,00  ∂ à +2,50  ∂ sont le plus souvent rapportés, on retrouve des chiffres beaucoup plus éloignés allant de +5,00  ∂ à +0,60  ∂, la prévalence de la myopie allant de 0 à 25  %. Un certain nombre d’éléments sont susceptibles d’expliquer, au moins en partie, ces disparités.

La cycloplégie


Les auteurs qui comme Von Jaëger [34] n’ont pas utilisé de cycloplégie trouvent une nette prédominance de myopies. Certains examinateurs ont d’ailleurs utilisé volontairement l’absence de cycloplégie pour éviter ses inconvénients potentiels en cherchant à ne conserver que l’accommodation tonique (hypermétropie latente) en neutralisant l’accommodation de fixation par la technique de « rétinoscopie de proximité  » mise au point par Mohindra (1 981) [42]. La réfraction moyenne apparaît ainsi négative à -0,76  ∂. Pour pouvoir comparer cette valeur aux examens sous cycloplégie il faut soustraire seulement 1,25  ∂ à la réfraction brute (au lieu de 2,00  ∂) pour tenir compte du tonus ciliaire résiduel estimé à +0,75  ∂ chez l’enfant. Saunders (1 995 [50]) trouve pour sa part que cette soustraction ne devrait être que de 0,75 à 1,00  ∂. Le tropicamide et l’homatropine sont connus depuis longtemps pour être des cycloplégiques partiels. Les valeurs faibles proposées par Zonis [64] ne sont donc pas surprenantes. On sait par contre que la potentialisation de certaines associations est intéressante. Il n’y a pas de référence connue pour l’association « tropicamide-homatropine  » que nous avons utilisée mais le résultat semble donner une approche acceptable. Compte tenu des restrictions de principe pour le cyclopentolate, le cycloplégique de référence reste donc l’atropine, celle-ci ayant été utilisée par la plupart des auteurs au dosage de 1  %. Ce qui par contre a été très variable est le nombre d’instillations et le nombre de jours, entre 1 goutte 4 heures avant l’examen et 4 gouttes par jour pendant au moins 3 jours. Par conséquent la vraie question est celle de l’efficacité du protocole, d’autant qu’il peut y avoir des résistances variables selon les races et les individus. Or en comparant les résultats d’une atropinisation conventionnelle (associée à sa propre atropinisation) à un dosage dilué, Ely [11] a trouvé des différences importantes dans le nombre de myopies. Il est manifeste que la durée d’atropinisation, mais plus encore son efficacité réelle, joue un rôle important dans la levée du tonus accommodatif qui est probablement important et variable chez le nouveau-né. Actuellement seul un dosage à 0,30  % semble médicalement conforme, y compris pour un usage thérapeutique. Le cyclopentolate est pour sa part de plus en plus employé et ne constitue pas une contre-indication médicale en dehors des précautions prévues.

Difficultés de l’examen


Il est évident que quelle que soit l’expérience des examinateurs l’examen du nouveau-né présente une situation particulière. La plupart du temps il faut réaliser une ouverture active des paupières chez un enfant endormi, certains utilisant un blépharostat et d’autres une ouverture manuelle avec ou sans aide. La manœuvre sans aide que nous avons utilisée a au moins l’avantage d’apprécier subjectivement la pression éventuelle exercée sur le globe oculaire. Une mesure objective (sous anesthésie) de l’astigmatisme induit a été réalisée par Shea (2 001) [54], montrant des effets propres à chaque type de blépharostat.
Un autre problème constant est celui de l’incertitude de fixation dans l’axe pour des globes rarement stables. Paradoxalement cette stabilité n’est pas meilleure chez l’enfant éveillé qui présente une curiosité d’exploration ou une fuite de la source lumineuse souvent trop intense. Les conséquences théoriques de cette excentricité seraient principalement d’ordre cylindrique avec une certaine myopisation. Ce risque ne semble toutefois pas très préoccupant pour l’examinateur entraîné, d’autant qu’il existe de toute façon une incertitude minimale même chez l’adulte.

Méthodologie et interprétation


L’utilisation de l’ophtalmoscope paraît, a priori, exposer à une interprétation plus subjective, sachant en particulier les difficultés d’examen du fond d’œil du nourrisson. Hors en dépit de ces problèmes, on note de façon un peu surprenante une remarquable identité de résultats entre plusieurs examinateurs, ce qui fait évoquer à Goldschmidt la possibilité d’interaction subjective dans les conclusions. Ce qui est en fait surprenant c’est que malgré les réelles difficultés (au moins pour les ophtalmologistes contemporains) les résultats sont globalement plus proches de ce qui nous semble être la réalité que de certaines mesures obtenues par skiascopie.
La skiascopie ayant l’avantage d’être parfaitement codifiée, l’interprétation des images n’expose a priori qu’à une erreur d’appréciation de ±0,50  ∂. Néanmoins l’examen est régi par des règles optiques très précises et tout écart par rapport au schéma de base (d = 1 m ; R = x -1  ∂) peut conduire à des erreurs plus significatives. On rappellera simplement que la forte sphéricité du cristallin peut induire des images parasites comme le phénomène de ciseaux, mais la dilatation souvent moyenne diminue nettement ce risque. Plus important est le fait que la plupart des examens sont réalisés à 50 cm. Le problème est de savoir si cette distance est strictement respectée. Nous avons vu que dans notre technique sans aide l’examen se faisait le plus souvent à environ 30 cm, ce qui implique une déduction au chiffre skiascopique brut de 3,00  ∂ à 3,50  ∂ au lieu de 2,00  ∂ dans la situation précédente. Une surestimation de la distance d’examen devrait conduire à une surestimation de l’hypermétropie. Par ailleurs l’utilisation de verres d’essais de forte puissance (+7,00 à +8,00  ∂ pour une réfraction de +4,50  ∂ par exemple) risque d’induire des erreurs significatives en fonction de la distance à la cornée sans compter l’obliquité possible du verre. Ceci devrait plutôt conduire cette fois à une sous-estimation de l’hypermétropie.
Une autre fausse interprétation de la skiascopie a été suggérée par Glickstein (1 970) [18] et Millodot (1 972) [40] en rapport avec la situation de « petit œil  » caractéristique du nouveau-né et en analogie avec l’aspect anatomique rétinien particulier de certains petits mammifères (musaraigne arboricole). Pour ces derniers, la structure rétinienne n’est pas plane mais présente des villosités qui font que la réflexion des faisceaux lumineux qui s’effectuerait sur la limitante interne serait nettement antérieure à la position des cellules sensorielles et se traduirait par une pseudo-hypermétropie. Cette théorie de « la limitante interne  » aboutirait pour ces auteurs à une surestimation de +2,00  ∂ ce qui signifie que le nouveau-né serait en réalité pratiquement emmétrope. En utilisant les données biométriques, Larsen (1 973) [36] concluait à une pseudo-hypermétropie de seulement +0,80  ∂. Lotmar (1 976) [37] pour sa part a établi un modèle théorique de l’œil du nouveau-né à partir de la biométrie qui donne une réfraction de +2,80  ∂ ou dans un modèle plus simplifié de +2,40  ∂. Cette théorie de la limitante interne qui est en fait basée sur l’idée que le nouveau-né devrait être myope plutôt qu’hypermétrope (puisque son « objectif  » serait de voir de près plutôt que de loin) ne peut être retenue étant donné que chez l’homme l’épaisseur rétinienne (1/3 mm) est beaucoup trop faible par rapport à la longueur axiale (20 mm) pour jouer un rôle significatif. D’autre part une autre expérimentation réalisée chez le rat (Mutti 1 997 [43]) a montré que l’excès d’hypermétropie révélé par la comparaison skiascopie/PEV n’était que de 2  ∂ alors que la théorie prévoyait au moins 9  ∂ et que par conséquent la skiascopie analysait bien la rétine externe et non la limitante interne. Pour Nuboer (1 979 [44]) l’artefact du petit œil chez le lapin serait lié à un problème de longueur d’onde de la lumière associé à des aberrations chromatiques. Un travail d’O’Leary (1 978 [45]) laisse néanmoins un petit doute sur l’interprétation stricte de la réflexion skiascopique. En utilisant chez l’homme une comparaison entre lumière polarisée et non polarisée, il est apparu qu’il existait 2 sites de réflexion : l’un au niveau de la limitante interne et l’autre au niveau de l’épithélium pigmentaire. Le premier semble prépondérant chez le jeune enfant et le second chez l’adulte. Mais quelles que soient ces incertitudes optiques, celles-ci ne peuvent manifestement pas expliquer l’hypermétropie significative du nourrisson.

Traduction des données skiascopiques — Astigmatisme


Bien que cela ne soit souvent pas précisé, la plupart des données sont exprimées en équivalent sphérique (ES). Un certain nombre d’auteurs n’ont pas fait état d’astigmatisme (non mesuré ou absent ?). Cet astigmatisme a été signalé par Franceschetti [14] avec une valeur moyenne de 1  ∂ en astigmatisme inverse (sphère méridienne = +2,50  ∂, équivalent sphérique = +2,00  ∂). Cook [7] rapporte 38,4  % d’astigmatismes. Mehra donne 12  % d’astigmatismes supérieurs à 2,00  ∂. Mohindra (1 978) [50], Howland (1 978) [31], Gwiazda (1 984) [25] et Saunders (1 995) [49] ont retrouvé de nombreux astigmatismes de ±1  ∂ dans les premiers mois de la vie (dont 20  % à la naissance pour Mohindra), avec plutôt des astigmatismes inverses. Toutefois ces études sont le plus souvent globales sur les premiers mois et les observations concernant strictement le nouveau-né sont rares ou absentes. Or certains de ces auteurs ont noté que le nombre des astigmatismes augmente jusqu’au 4e ou 5e mois pour décroître ensuite. Nos études personnelles confirment cette évolution avec une fréquence des astigmatismes > 0,75  ∂ passant de 16  % à 1 mois à 41  % à 2 mois, 35  % à 3 mois, 51  % à 4 mois et 54  % à 5 mois. Cependant tous les astigmatismes sont apparus directs jusqu’à cette période. Si le méridien horizontal est effectivement le plus hypermétrope et si l’on prend pour critère la sphère la plus hypermétrope, sa seule mesure n’a donc pas d’incidence sur la moyenne réfractive.

Date d’examen et poids de naissance


Bien que les différents travaux concernent en principe strictement les nouveau-nés, soit la définition de ce statut reste ambiguë, soit les limites de l’étude ne sont pas respectées. On s’aperçoit que si certains auteurs limitent leur exploration dans le cadre habituel de l’hospitalisation (< 1 semaine), la plupart d’entre eux débordent de façon plus ou moins flagrante : Ely à 8 semaines, Horstmann 8 à 20 jours, Bjerrum 1 à 14 jours, Germann jusqu’à 80 jours, Franceschetti 3 à 16 jours, Goldschmidt 2 à 10 jours, Mohindra 0 à 1 mois. D’autres, tel Zonis, incluent dans leurs séries un certain nombre de prématurés. Or l’évolution au-delà de la première semaine apparaît variable : stabilité totale pour Schleich, régression sensible pour Bjerrum au bout de quelques jours. En fait cette évolution à très court terme a probablement peu d’influence. Ce n’est pas forcément le cas si l’on tient compte de la définition de la prématurité. Le critère essentiel retenu pour la prématurité dans la plupart des travaux ophtalmologiques est un poids inférieur à 2 500 g. Or la définition obstétricale et pédiatrique est essentiellement basée sur la durée de gestation. Le terme normal correspond à 41 semaines d’aménorrhée et la prématurité est définie à moins de 37 semaines, indépendamment du poids de l’enfant. Le critère de poids permet seulement de dire si l’on se trouve dans les normes ou s’il y a hypotrophie ou retard de développement. Le poids de 2 500 g correspond à une gestation normale de 35 semaines. Ce critère n’ayant le plus souvent pas été pris en référence, rien ne permet de dire si les enfants retenus sont réellement à terme. Notre série comporte uniquement des enfants nés entre 37 et 41 semaines avec une moyenne de 40 semaines ±1 et respecte donc totalement le critère de terme normal (maximum = 41 semaines +5 jours ; minimum = 37 semaines -3 jours). Nous avons essayé de rechercher une relation entre le terme et la valeur de l’hypermétropie. Les résultats ont été les suivants : +3,82  ∂ à 37-38 semaines, +3,41  ∂ à 39 semaines, +3,62  ∂ à 40 semaines et +4,02  ∂ à partir de 41 semaines (la même analyse faite après correctif cycloplégique aboutit à une évolution identique : +4,03  ∂, +3,83  ∂, +4,16  ∂ & +4,21  ∂). Compte tenu de l’imprécision réelle de la réfraction il est difficile de définir une véritable corrélation même si l’hypermétropie semble maximale au terme normal. La valeur élevée à 37 ou 38 semaines ne nous paraît pas obligatoirement un artefact, car on rencontre fréquemment chez le prématuré non compliqué une hypermétropie significative de 4 à 5 dioptries (page 164).
Le poids normal à terme est de 3 560 g ±300 pour les garçons, et de 3 410 g ±300 pour les filles (pour un percentile de 75  %). Pour notre série la moyenne globale est de 3 420 g ±510 (percentile 75  %) (maximum = 4 630 g ; minimum = 2 290 g). Il n’y a que 13  % de petits poids < 2 900 g. Nous avons également recherché une corrélation poids de naissance/hypermétropie, avec les résultats suivants : +3,37  ∂ pour un poids < 2 900 g, +3,78  ∂ de 2 900 à 3 420 g, +3,45  ∂ de 3 420 à 3 940 g et +4,08  ∂ pour un poids > 3 940 g. La encore on ne retrouve pas de relation linéaire, mais l’hypermétropie semble quand même maximale pour les plus gros poids et plus minime pour les petits poids. Par contre après le correctif cycloplégique la relation poids/réfraction semble plus probable (+3,63  ∂, +3,98  ∂, +4,04  ∂ & +5,01  ∂) et n’accrédite pas le constat de Schleich et de Mehra sur l’absence de relation.

Contexte prénatal, antécédents, sexe


La plupart des auteurs ayant analysé la réfraction des enfants nés après grossesse compliquée, ont retrouvé des incidences réfractives plus particulièrement dans le sens myopique (Zonis). Des observations identiques ont également été faites en comparant les réfractions de 6 à 9 mois pour des enfants nés soit en clinique privée soit en milieu hospitalier public, ce dernier recueillant les cas sociaux (Atkinson, Goldschmidt [19]).
En ce qui concerne le sexe, certains auteurs n’ont pas noté de différence notable (Ely). Goldschmidt trouve pour sa part une différence sensible avec une moyenne de +0,76  ∂ pour les garçons et +0,47  ∂ pour les filles. Zonis a également trouvé une petite prédominance d’hypermétropies chez les garçons (76,9  % contre 70,5  %) et de myopies chez les filles (15,1  % contre 9,1  %). Un constat identique est fait par Mehra. On sait que ce schéma a également été signalé chez les enfants plus âgés. Dans notre série il n’y a aucun myope et la seule différence mesurable porte sur l’importance de l’hypermétropie. Pour 122 garçons la réfraction moyenne était de +3,64  ∂ ±1,47 et pour 89 filles de +3,48  ∂ ±1,47. Ces résultats sont néanmoins en contradiction avec un certain nombre de données biométriques (page 255), les garçons présentant plutôt une longueur axiale plus grande. Il en résulte que les filles sont en principe plus hypermétropes et que cette situation perdure jusqu’à environ l’âge de 15 ans (page 203).
A priori les antécédents réfractifs sont susceptibles de jouer un rôle notable que l’on retrouve en tout cas ultérieurement. Aucun auteur ne semble en fait avoir réalisé une étude précise pour le nouveau-né. L’obstacle majeur à cette étude est une mauvaise connaissance de la part des familles de ces antécédents, les investigations s’améliorant au fil des interrogatoires. Dans notre série ont été signalés des antécédents hypermétropiques dans 14 cas, myopiques dans 25 cas, antécédents non définis dans 47 cas et absence d’antécédent connu dans 123 cas. Pour ces situations, les moyennes réfractives ont été respectivement de +3,29  ∂, +3,53  ∂, +3,53  ∂ & +3,69  ∂. On constate donc que paradoxalement la moyenne la plus faible est retrouvée avec des antécédents d’hypermétropies. De toute évidence l’analyse des antécédents n’a un intérêt potentiel qu’au cas par cas.
Le critère de race ou de groupe ethnique semble par contre jouer un rôle notable. Dans les résultats de Cook [7] il apparaît en effet que le profil réfractif des sujets de race blanche et celui des mélanodermes sont nettement différents avec des moyennes réfractives respectives de +2,06  ∂ et +1,21  ∂. Cette différence repose principalement sur la prévalence des myopies, respectivement 19,2  % et 28,6  %. À un degré moindre, Zonis [64] a trouvé des différences sensibles dans la répartition hypermétropies/myopies entre 2 groupes ethniques israéliens, avec un écart encore plus marqué par rapport à un groupe arabe. Nous n’avons pas retrouvé de référence concernant les groupes asiatiques mais il est possible que la myopie y présente une prévalence plus élevée que dans les groupes caucasiens, encore que la littérature évoque plutôt des myopies précoces et évolutives que congénitales (Edwards 1 991 [10]).

Au total


En dépit de la disparité des résultats exposés sur la réfraction du nouveau-né à terme, aucun nouveau travail spécifiquement consacré à ce sujet, hormis la publication d’Hopkinson [27], ne semble avoir été réalisé depuis plus de 30 ans. Comme nous l’avons vu, de multiples éléments sont susceptibles d’influer sur les résultats évoqués. Si certains biais de recrutement ou d’interprétation peuvent facilement être repérés, la plupart d’entre eux restent masqués par les imprécisions de procédure et par ailleurs tous les biais n’ont pas la même importance.
Il est déjà certain qu’il existe pratiquement autant de protocoles cycloplégiques que d’études alors qu’aucune étude comparative n’a été effectuée à cet âge sur la levée du tonus accommodatif.
Des erreurs notables de technique et d’interprétation restent dans l’ensemble peu probables pour des examinateurs manifestement expérimentés. Il existe toutefois quelques points d’interrogation sur la fréquence réelle des astigmatismes dont un certain nombre est probablement, au moins chez le nouveau-né, un artefact d’examen. L’anisométropie semble par contre être réellement peu fréquente.
La date d’examen représente à elle seule un obstacle théorique notable à toute analyse comparative. Toutefois le constat fréquent d’une hypermétropie notable chez le prématuré « non pathologique  » laisse penser que l’incidence est finalement modérée sur la réfraction moyenne.
Le poids de naissance et les antécédents ont probablement une incidence non négligeable d’autant que certains recrutements ont pu se concentrer dans des services gérant une pathologie obstétricale plus élevée que la moyenne.
La précision quant aux groupes ethniques s’avère essentielle. Outre les particularités raciales, se pose le problème de la résistance aux cycloplégiques chez le mélanoderme. Or certaines populations en particulier dans toutes les grandes agglomérations comportent un « melting-pot  » incontournable pouvant rendre aléatoires les interprétations réfractives dans des populations non individualisées.

L’écart-type


Malgré toutes ces éventualités pour expliquer une moyenne plutôt faible pour l’hypermétropie (+2,00 à +2,50  ∂ en équivalent sphérique) et une fréquence parfois anormalement élevée de la myopie, il est en fait difficile la plupart du temps d’affirmer sur la simple description de l’échantillon que les résultats sont incorrects. Par contre il existe un argument statistique qui reflète des biais éventuels de recrutement : il s’agit de l’écart-type. On observe sur ce point de grosses dispersions entre la valeur de 3,1 dans le travail de Cook [7] et celle de 1,2 pour celui de Patel [46]. Nous savons que le chiffre élevé de Cook a probablement une origine bi-raciale, même si la différence entre les blancs (écart-type = ±2,73  ∂) et les mélanodermes (écart-type = ±3,38  ∂) n’est pas majeure. Par contre l’écart-type également élevé (2,20  ∂) dans la série, a priori uniquement caucasienne, de Goldschmidt [20] est surprenant. Or l’interprétation de la déviation standard est fondamentale dans la description de l’emmétropisation. En effet, pour certains auteurs, dont Saunders [49,50], la réduction importante et rapide de l’écart-type entre la naissance (écart-type = ±3,00  ∂) et l’enfance puis plus lentement vers l’adulte jeune (écart-type = ±1,14  ∂ pour Strömberg [56]) constituerait parallèlement à la réduction de l’hypermétropie la preuve du phénomène biologique d’emmétropisation.
D’autres auteurs ont à l’inverse donné des valeurs beaucoup plus faibles pour cet écart-type. Pour essayer de juger de la validité de nos propres résultats nous les avons confrontés à ceux d’une étude longitudinale actuellement en cours. Entre le 1er et le 10e mois, l’écart-type se situe pour chaque tranche mensuelle entre ±1,50  ∂ et ±1,70  ∂ (pour n > 100 par mois). La dispersion modérée des résultats est étonnamment stable, avec pour chaque tranche d’âge 70 à 75  % de l’échantillon compris dans m ±1  ∂. Dans ces conditions, la description classique du passage d’une courbe gaussienne large et aplatie chez le nouveau-né à une courbe pointue et étroite chez l’adulte pourrait bien n’être en grande partie qu’un artefact de recrutement. D’ailleurs l’importance quantitative de l’échantillon analysé est évidente. Ainsi l’écart-type qui est de ±1,62  ∂ pour une moyenne de +1,95  ∂ chez les enfants de 9 mois de notre étude (n = 120) n’est plus que de ±1,40  ∂ avec une moyenne de +2,16  ∂ pour une autre étude antérieure portant cette fois sur 1 095 enfants du même âge. Dans la mesure où les valeurs réfractives trouvées dans notre étude transversale entre le 1er et le 4e mois sont en quasi-continuité entre +3,50  ∂ et +3,20  ∂ pour la sphère méridienne, notre estimation à +4,07  ∂ ±1,48 après correctif cycloplégique nous paraît parfaitement cohérente au sein d’une étude mixte, transversale et longitudinale, qui comporte plus de 1 300 mesures pour environ 450 enfants différents. On notera néanmoins qu’une dispersion importante des réfractions n’implique pas obligatoirement que la moyenne de l’échantillon soit fausse.

Conclusion


En définitive s’il est fort probable que l’hypermétropie à la naissance soit significative, entre +2,00  ∂ à +4,00  ∂ avec un contingent très faible de myopies contrairement à l’opinion de Goldschmidt, il persiste une interrogation sur la période exacte où cette hypermétropie est maximale. Une hypermétropie maximale dans les premières semaines est retrouvée par un certain nombre d’auteurs tels Saunders [50] (+3,00  ∂ en sphère méridienne) et Thompson [57] (+2,80  ∂ en équivalent sphérique), mais le premier contrôle n’a pas eu lieu à la naissance mais plutôt dans le courant du 1er mois. Certains auteurs décrivent au contraire un minimum à la naissance avec une augmentation progressive de l’hypermétropie. Pour Mohindra [42] le sommet de la courbe est atteint à 2 ans. Cet artefact manifeste s’explique apparemment par l’utilisation de la technique de « near retinoscopy  » qui contrôle probablement mal l’accommodation en l’absence de cycloplégie. Pour Wood [61,62], l’hypermétropie progresse de la 2e semaine jusqu’au 3e mois, avec une réfraction faible (+0,51  ∂ à +2,01  ∂), l’examen étant cette fois une skiascopie conventionnelle sous cycloplégie. Grignolo [24] a également trouvé un accroissement de l’hypermétropie entre la naissance et le 3e mois (+1,50  ∂ à +3,00  ∂) et Santonastaso [47] de même entre la naissance et 1 mois (+0,75  ∂ à +3,00  ∂). La logique anatomique nous ferait plutôt pencher vers une hypermétropie maximale à la naissance, date à laquelle la relaxation de l’accommodation est probablement la plus difficile et où le risque de sous-évaluation de l’hypermétropie est maximal pour les plus faibles hypermétropies apparentes. Cette situation est justement le cas de tous les travaux concluant à une augmentation secondaire de cette hypermétropie. Nos propres résultats entretiennent partiellement ce doute car si l’on prend en compte les résultats bruts, il n’apparaît pas de continuité stricte dans l’évolution entre la naissance et le 4e mois (respectivement : +3,54  ∂, +3,43  ∂, +3,79  ∂, +3,56  ∂ & +3,19  ∂). Mais comme nous l’avons vu, les écarts entre la mesure et la réalité, peuvent être importants, le problème majeur s’avérant manifestement être celui de l’efficacité de la cycloplégie. Un contrôle réalisé 3 mois plus tard pour une série de 102 réfractions du 1er mois montre comme pour celles de la naissance un certain nombre d’insuffisances cycloplégiques et ce malgré l’utilisation systématique d’atropine. Néanmoins ce déficit est beaucoup plus modéré puisqu’il ne touche que 20 cas sur 102, avec un maximum de seulement 2 dioptries. Ainsi après application pour le nouveau-né et à 1 mois du correctif explicité précédemment, l’évolution de la réfraction que nous retenons est de 0 à 4 mois : +4,07  ∂, +3,78  ∂, +3,79  ∂, +3,56  ∂ & +3,19  ∂. Par conséquent notre hypothèse de la réfraction maximale chez le nouveau-né nous paraît la plus probable.
On retiendra par ailleurs que notre valeur moyenne de +4,00  ∂ se trouve dans la tranche haute des divers travaux. En l’absence d’erreur manifeste technique ou d’interprétation et malgré le problème de l’efficacité cycloplégique, il reste difficile d’expliquer les valeurs faibles rapportées par certains auteurs dont Goldschmidt pour des populations examinées sous cycloplégie atropinique. On peut retenir en partie l’hypothèse de variations sensibles en fonction de populations. Un constat de ce type a été fait dans l’analyse comparative de la réfraction strabique à son stade de décompensation maximale. Le contingent plutôt homogène de Paimpol avait une valeur supérieure de 1 dioptrie par rapport à l’échantillon Nantais particulièrement multirégional (Colloque Oculomotricité, Nantes, septembre 2 003).
Le fait de trouver peu d’astigmatismes dans notre série de nouveau-nés peut paraître surprenant dans la mesure où la prévalence a été trouvée élevée par la plupart des auteurs ayant étudié la réfraction du tout jeune enfant par skiascopie et par photoréfraction (Gwiazda, Howland, Mohindra, Saunders, Atkinson). Néanmoins certains de ces auteurs ont trouvé que le pic de prévalence se situait plutôt à 4 à 5 mois. Mohindra [41] trouve 19  % d’astigmatisme supérieur à 1 dioptrie à 8 jours et 57  % à 11 à 20 semaines. Personnellement nous avons trouvé 30  % d’astigmatisme significatif (≥ 1,50 ∂) à 4 à 5 mois contre seulement 15  % à 1 à 2 mois. La présence fréquente d’un astigmatisme significatif au cours de la première semaine de vie nous apparaît donc incertaine d’autant que peu d’observations portent réellement sur cette période.
Quant à l’absence d’anisométropie, elle nous est apparue comme une caractéristique très surprenante de la réfraction du nouveau-né en comparaison de la dispersion a priori peu fonctionnelle des hypermétropies. Toute anisométropie découverte dans les premiers mois de la vie est un indice très fort de dysfonctionnement acquis de la fonction visuelle si elle ne régresse pas rapidement.
À la suite des nombreux travaux sur les prématurés, la biométrie est apparue être un élément indispensable pour bien comprendre le support anatomique de la réfraction. La rareté des recherches portant très précisément sur le nouveau-né à terme ne permet pas de valider sans réserve le concept « œil court = œil hypermétrope  ». Un certain nombre de myopies du nouveau-né pourraient ne pas être purement axiales mais être plutôt liées à une persistance prolongée de la sphéricité cristallinienne. Une telle hypothèse n’explique pas de toute façon pourquoi certains auteurs recruteraient préférentiellement des myopies et les autres des hypermétropies. Même si Lotmar (1 976 [37]) a pu proposer à partir des données biométriques un modèle théorique de l’œil du nouveau-né, aboutissant à une réfraction de +2,80  ∂, il reste difficile d’établir une traduction claire de ces données en valeur réfractive. La biométrie comporte elle-même une certaine marge d’erreurs surtout si elle est réalisée avec des techniques différentes. Un problème reste de toute façon commun à toutes les techniques, c’est celui de la relaxation cristallinienne sous cycloplégie.
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Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010