Réfraction de l'Enfant : la correction optique Guy Clergeau & Alain Péchereau
Introduction
Litt
érature
• L’idée de la correction précoce de l’hypermétropie pour la prévention du strabisme a été évoquée par plusieurs auteurs: Thomson (1924 [31]), Chavasse (1932 [8]), Williamson-Noble (1932 [33]). Il n’y a eu cependant aucune application pratique.
Ingram et al (1985 [15]) ont réalisé un essai de prévention du strabisme et de l’amblyopie chez des enfants de 1 an lorsqu’ils présentaient au dépistage sous cycloplégie une hypermétropie >+1,75∂ en sphère de base ou une anisométropie >0,75∂. La prescription a été réalisée de façon randomisée en donnant une sous-correction volontaire de -2,00∂, afin de ne pas entraver l’emmétropisation. Les résultats ont été appréciés en remplaçant secondairement le critère d’inclusion par une sphère méridienne >+3,25∂.
¬ Pour les enfants présentant une hypermétropie initiale <
+3,50∂, il est apparu une absence de différence significative dans l’incidence du strabisme entre groupe traité et groupe non traité (6,1% versus 8,4%) et une différence modérée pour l’incidence de l’amblyopie (23,8% versus 37,3%).
¬ Pour les hypermétropies >
+3,25∂, il est apparu paradoxalement une incidence plus forte de strabismes pour le groupe traité (44% versus 29,5%) et une absence d’effet significatif pour l’amblyopie (68% versus 72,5%).
¬ La conclusion de cette étude était que la correction optique n’avait aucunement modifié l’incidence du strabisme ni celle de l’amblyopie. Cet échec était attribué principalement à la mise en route peut-être trop tardive du traitement.
Dobson et al (1986 [10]) ont recherché si la correction optique dans le strabisme pouvait constituer un obstacle à l’emmétropisation. Il a été comparé l’évolution de la réfraction exprimée en équivalent sphérique chez 10 enfants strabiques corrigés avec des réfractions équivalentes non corrigées chez 30 enfants non strabiques. Il est apparu que la régression réfractive observée était significativement supérieure pour les sujets non traités (-1,43∂ versus -0,39∂). La correction optique en réduisant l’accommodation modifirait le déroulement normal de l’emmétropisation.
• Raab et al (1986 [28]) ont rapporté que la majorité des ésotropes accommodatifs ne pouvaient être sevrés de leur correction optique à l’adolescence.
• Atkinson et al (1987 [4], 1996 [5]) ont analysé dans le cadre du programme de dépistage de Cambridge les effets préventifs de la correction optique donnée à partir de 6 à 8 mois chez les enfants présentant les critères d’amétropie à risque. Il s’agissait plus précisément d’une sous-correction volontaire de -1,00∂, toujours pour ne pas gêner l’emmétropisation, ainsi que d’une semi-correction de l’astigmatisme. Le groupe traité et le groupe non traité ont été comparés à un groupe témoin physiologique.
¬ En ce qui concerne le strabisme, le groupe témoin (n =
123) a eu une incidence de 1,6%, le groupe hypermétrope traité (n =48) de 6,3% et le groupe non traité (n =75) de 21%. Ces différences ne seraient toutefois pas statistiquement significatives (?).
¬ En ce qui concerne l’amblyopie, le groupe témoin (n =
99) a eu une incidence de 11%, le groupe traité (n =142) de 28,6% et le groupe non traité (n =69) de 68%. Là encore la différence ne serait pas significative (?).

Le rôle préventif de la correction précoce apparaœt donc très incertain.

Medina (1987 [22 & 23]) a constaté que le déroulement de l’emmétropisation évoquait fortement l’existence d’un mécanisme régulateur reposant manifestement comme dans l’expérimentation animale sur un principe de feedback. La conséquence de ce mécanisme est que toute perturbation du processus naturel par une correction optique peut être un facteur empêchant l’évolution vers l’emmétropie. L’auteur a établi un modèle mathématique qui permettrait de prédire l’état réfractif final en fonction des corrections optiques successives. En particulier, la correction de l’hypermétropie empêcherait l’emmétropisation et pourrait à l’inverse s’opposer à l’évolution vers la myopie.
Repka et al (1989 [29]) ont signalé que les ésotropes accommodatifs porteurs de leur correction optique totale étaient moins aptes à s’emmétropiser.
Ingram et al (1990 [16]) ont réalisé une nouvelle étude sur les mêmes bases que celles définies en 1985 mais en commençant le traitement à 6 mois et avec un critère de risque de +4,00∂.
¬ Chez les sujets traités, un strabisme est apparu dans 24
% des cas contre 25% pour les sujets non traités ou non coopérants.
¬ Pour l’amblyopie, les chiffres ont été respectivement de 47
% et 58,6%.

La conclusion est donc une confirmation des résultats précédents, à savoir que la correction optique précoce a un effet préventif nul pour le strabisme et faible pour l’amblyopie.

• Ingram et al (1991 [17]) ont étudié l’évolution de l’hypermétropie chez les sujets traités et non traités suivis dans la précédente étude. Outre le fait que les sujets ayant une hypermétropie qui ne régresse pas sont plus aptes au strabisme, il apparaœt que les sujets non traités ont une régression sensiblement supérieure à celle des sujets traités (68,5% versus 58,3%).
• Angi (1991 [1]) a souligné l’importance de corriger l’astigmatisme associé aux amétropies sphériques. Une meilleure emmétropisation est constatée chez l’hypermétrope et la myopie est apparue significativement stoppée.
• Ingram et al (1994 [18]) ont confirmé que les sujets présentant un strabisme présentaient une insuffisance d’emmétropisation avant même l’apparition du strabisme. Ce constat suggère que ces enfants présentent une anomalie innée du processus d’emmétropisation et que la persistance d’une hypermétropie chez beaucoup de strabiques n’est pas une conséquence mais une anomalie associée.
• Putteman et al (1994 [27]) contestent totalement l’intérêt de la correction optique chez les hypermétropes. Le traitement de l’amblyopie repose essentiellement sur l’occlusion. Une correction optique totale n’est jamais donnée en raison du risque d’hypo-accommodation, et en cas de problème asthénique il faut prescrire un collyre phospholine…
En cas de baisse visuelle on donne une correction partielle de quelques- heures par jour.
Le traitement du strabisme par correction optique totale est psychologiquement inacceptable
!
• Angi et al (1996 [2]) ont étudié l’effet de la correction myopique chez 42 enfants de moyenne d’âge de 34 mois et de réfraction moyenne de -6,00∂. Après un suivi de 3 à 4 années, la moyenne réfractive était de -5,30∂. Il a été conclu que la correction optique ne stimulait pas la progression myopique. Par contre la myopie a plus augmenté chez les patients sous-corrigés. Une correction précoce de la myopie semble donc conseillée.
• Friedburg et al (1996 [11]) ont analysé rétrospectivement 103 enfants strabiques (avec H >+2,00∂), en comparant les résultats visuels en fonction de l’âge de première correction. Il s’est avéré que les corrections les plus précoces ont donné les meilleurs résultats visuels. Ce constat est encore plus significatif si l’on prend une hypermétropie de +3,00∂ en référence.
• Wildsoet (1997 [32]), à partir des conséquences constatées en expérimentation animale de la défocalisation par lentilles positives et négatives, a repris l’ensemble des considérations éventuellement applicables à l’être humain. La conclusion de cette revue serait de préférer la surveillance des amétropies significatives du tout jeune enfant plutôt que leur correction précoce (à l’exception des facteurs de risque évidents de strabisme et d’amblyopie). Ultérieurement le port intermittent de la correction pourrait laisser l’emmétropisation s’exercer.
Ong et al (1999 [26]) ont réalisé une étude chez 43 myopes, eux--mêmes divisés en 4 groupes selon l’intensité du port de la correction. Sur une durée de 3 ans il n’a pas été trouvé de différence d’évolution entre les 4 groupes.
Ingram et al (2000 [19]) ont réalisé une nouvelle étude sur l’effet de la correction optique chez les enfants ayant ou n’ayant pas de strabisme. Le même protocole de sous-correction a été appliqué. La régression moyenne de l’hypermétropie a été de -1,24∂ pour le groupe des non strabiques et de -0,27∂ pour le groupe strabique. La différence est encore plus évidente lorsque l’on s’intéresse à l’œil non fixateur: -1,15∂ versus +0,16∂. La conclusion est qu’en fait le strabisme n’est pas exactement lié à l’hypermétropie mais que certains enfants sont programmés pour être strabiques et que la non-emmétropisation est également un défaut inné.
Atkinson et al (2000 [6]) ont étudié les effets de la correction optique sur l’emmétropisation. Le suivi longitudinal de 148 hypermétropes non strabiques (+3,50 à +5,75∂) entre les âges de 9 à 36 mois n’a montré aucune différence d’évolution entre le groupe traité (sous-correction de -1,00∂) et le groupe non traité. On note une régression de l’hypermétropie mais qui n’est pas aussi importante que celle observée pour le groupe contrôle (H <+3,50∂): réfraction moyenne à 3 ans de +3,25∂ versus +1,75∂. La conclusion est que la régression est proportionnelle à l’hypermétropie initiale et qu’une correction partielle peut être bénéfique sans altérer l’emmétropisation.
Mulvihill et al (2000 [25]) ont analysé l’évolution de la réfraction chez 103 enfants présentant une ésotropie accommodative, avec un âge moyen initial de 42 ±50 mois pour une durée moyenne de 4 ans 1/2. Ces enfants ont reçu une correction totale. Il a été constaté une stabilité de l’équivalent sphérique (m =+6,00∂). Aucun enfant n’a pu abandonner sa correction pendant le suivi. La conclusion est que la correction optique totale reste le traitement de choix de l’ésotropie accommodative. Il n’est pas exclu que la correction totale ait un impact sur l’évolution de la réfraction, mais il est tout aussi possible que le programme réfractif soit inné.
Ingram et al (2001 [20]) ont étudié l’évolution de l’astigmatisme chez des sujets strabiques et non strabiques avec le même protocole de sous-correction de -2,00∂. Les prescriptions étaient données à 6 mois. En fin de suivi il est apparu que l’astigmatisme résiduel était plus élevé chez les strabiques. La régression de l’astigmatisme est liée à une diminution de l’hypermétropie sur les 2 méridiens, proportionnelle à l’amétropie de départ, et plus marquée chez les sujets non strabiques.
Hutcheson et al (2003 [14]) ont étudié la possibilité de supprimer la correction optique dans les ésotropies accommodatives. L’étude rétrospective porte sur 10 patients chez lesquels a été réalisé un retrait progressif de la correction. Il a été observé une orthophorie, 5 ésophories et 4 ésotropies. La réfraction de départ et d’arrivée (+2,25 ∂ et +1,50∂) est en moyenne plus faible que celle observée chez les strabiques n’ayant pas pu être sevrés. Les cas les plus favorables correspondent à des strabismes apparus plus tardivement. L’incidence favorable sur l’emmétropisation n’est pas démontrée.
• Anker et al (2004 [3]) ont étudié l’effet bénéfique éventuel de la correction optique précoce donnée à 1 an sur l’acuité visuelle des hypermétropes significatifs, en comparaison avec des groupes normaux et hypermétropes non corrigés. Le protocole est celui de la sous-correction de -1,00∂, avec bilan final à 4 ans. Il est apparu que l’acuité finale a été plus basse pour les hypermétropes significatifs non corrigés par rapport au groupe contrôle et au groupe corrigé.
• Lambert et al (2006 [21]) ont étudié l’évolution de la réfraction pour des ésotropies accommodatives en fonction de l’âge de correction. Il est apparu que l’amétropie initiale est plus importante pour les strabismes d’apparition plus précoce. La régression de l’hypermétropie est plus importante pour les strabismes d’apparition plus tardive. L’évolution de la réfraction apparaœt très dépendante de l’âge de prescription de la correction.
Résultats personnels
Protocole

Il s’agit essentiellement d’une étude rétrospective qui ne comportait aucun protocole thérapeutique précisément défini. Le principe général a néanmoins été pendant un certain nombre d’années celui d’une sous-correction. Celle-ci n’était pas motivée par le souci de préserver l’emmétropisation mais a été basée sur le constat que les hypermétropies qui sont considérées comme physiologiques lors des bilans initiaux sont parfaitement compensées par l’accommodation. De ce fait on pourrait considérer qu’il suffit de traiter l’excédent réfractif par rapport à ce plafond hypermétropique pour se placer dans une situation physiologique. En fonction de l’importance de l’hypermétropie constatée la sous-correction peut donc atteindre 2 à 3 dioptries. La sous-correction utilisée a par ailleurs souvent varié avec la progression en âge. Lorsque l’on constate une régression insuffisante de l’hypermétropie, ce qui est en fait assez fréquent, la sous-correction est réduite pour rejoindre le cas échéant la correction totale, en particulier lorsqu’apparaœt un strabisme ou une amblyopie.
Au total, même si l’interprétation de cette étude ne peut qu’être approximative, cette dernière nous a permis d’évaluer schématiquement 3 attitudes thérapeutiques (les sous-corrections, la correction totale ou subtotale et l’absence de correction), pour 3 situations réfractives (H >
+6,25∂, H >+5,00∂ et anisométropies >1,75∂). Il a été distingué 3 types de résultats: lunettes simples ou emmétropie, amblyopie réfractive et strabisme ±amblyopie.

Résultats
• Hypermétropie >+6,25∂ (n =26)
¬ 12 sous-corrections =
2 amblyopies, 7 strabismes, 3 corrections simples.
¬ 12 corrections totales =
5 strabismes, 7 corrections simples.
¬ 2 abstentions =
2 corrections simples.
• Hypermétropie >
+4,75∂ (n =50)
¬ 13 sous-corrections =
2 amblyopies, 6 strabismes, 5 corrections simples.
¬ 18 corrections totales =
2 amblyopies, 5 strabismes, 11 corrections simples.
¬ 19 abstentions =
8 strabismes, 11 corrections simples.
• Anisométropie >
1,75∂ (n =11)
¬ 11 corrections totales +
pénalisation =2 amblyopies, 9 corrections simples.
Conclusion
• Si aucune situation ne s’est avéré représenter une prévention totale contre l’évolution défavorable des facteurs de risque, il apparaœt sans ambiguïté que ce risque est nettement augmenté en cas de sous-correction ou de non-correction.
• Les résultats concernant la correction totale donnent une surestimation des résultats négatifs en raison d’une coopération aléatoire des enfants ainsi qu’en raison d’une prescription parfois différée par rapport à la date du diagnostic de l’amétropie.
• Les décisions d’abstention thérapeutique ont été prises es-sen-tiel-lement lorsque l’évolution spontanée semblait se faire dans le sens de l’emmétropisation. Malheureusement il s’agit parfois d’un spasme accommodatif qui précède l’apparition d’un strabisme.
• Les résultats concernant les anisométropies correspondent à une stratégie beaucoup mieux définie qui a consisté à donner systématiquement la correction totale associée d’emblée ou rapidement à une pénalisation de l’œil le moins amétrope. Les 2 échecs sont liés à une non-coopération.
Discussion

Comme on a pu le constater dans la revue de la littérature, le problème de la correction optique concerne des situations sensiblement dif-fé-rentes. Il faut dissocier les sujets strabiques des sujets non strabiques. Il faut séparer les myopes des hypermétropes. Il faut distinguer les situations de prévention et les situations thérapeutiques.

Prévention et correction optique

Ce chapitre concerne essentiellement la prévention des facteurs de risque que sont l’amblyopie et/ou le strabisme. Comme nous l’avons vu, ces facteurs sont parfaitement identifiés avec une unanimité des divers auteurs sur les valeurs de référence.
Pour Ingram la prévention du strabisme est inefficace qu’elle soit appliquée à 6 ou à 9 mois. L’efficacité vis-à-vis de l’amblyopie est nettement faible. Pour Atkinson les résultats sont sensiblement meilleurs mais sont considérés comme ambigus. Nos résultats confirment en partie un échec relatif de la correction précoce.
Néanmoins l’interprétation de ces résultats doit être clairement rapportée à la nature des protocoles utilisés
: ces résultats ne concernent en effet que des stratégies de sous-correction plus ou moins importante qui par conséquent n’ont exploré en aucune façon un protocole de correction totale.
Nos résultats personnels concernant cette dernière option portent sur un nombre de patients encore trop limité pour apporter une réponse à cette question. Néanmoins un certain nombre d’échecs de la correction totale ont une explication assez évidente. Si l’on élimine les cas de non-coopération, il apparaœt surtout qu’en cas d’amétropie significative il n’existe pas toujours une identité stricte entre les 2 yeux et en particulier lorsqu’il existe un cylindre associé. L’évolution risque donc de se faire rapidement vers une dominance. Cette dominance s’installe d’autant plus facilement qu’il existe volontiers un dysfonctionnement accommodatif (expliquant en partie l’échec des corrections partielles).
Cette dominance est souvent révélée par l’apparition d’une anisométropie. Or la correction totale n’est pas le traitement de la dominance. Il faut y ajouter une technique de pénalisation. On peut donc par avance penser que la seule correction optique totale, même réadaptée à chaque contrôle, ne permettra pas de supprimer totalement le risque amblyopique ou strabique. On sait par ailleurs que le strabisme n’est pas strictement lié à l’hypermétropie.

Correction optique et emmétropisation

De manière surprenante mais reflétant en partie certains aspects des préoccupations sociopsychologiques, le problème de l’impact négatif potentiel de la correction optique totale et précoce a suscité l’essentiel des études.
Cette question repose sur le rôle attribué à l’accommodation pour permettre à l’hypermétropie d’évoluer vers l’emmétropie. Nous avons vu précédemment que toutes les études concernant la prévention des facteurs de risque ont été déviées de leur rigueur scientifique en explorant uniquement des sous-corrections.

évolution а court terme

Ingram et al dans leur programme de sous-correction ont constaté une régression plus importante de l’hypermétropie chez les non strabiques. Il a été trouvé parallèlement une régression plus importante de l’astigmatisme dans ce groupe.
Atkinson, Dobson et al dans le programme de dépistage de Cambridge- ont trouvé
:

• Une absence de différence dans la régression hypermétropique entre strabiques traités et strabiques non traités. La baisse réfractive était plus marquée pour le groupe témoin physiologique.
• Une baisse plus marquée pour les non strabiques présentant une réfraction identique.

Repka a signalé la plus grande difficulté d’emmétropisation chez l’ésotrope porteur de la correction totale.
Les résultats présentés par Ingram, Atkinson et al méritent le même commentaire que pour l’analyse de la prévention. La sous-correction facilite certainement la régression hypermétropique. Mais dans bon nombre de cas il s’agit d’une illusion. Les examens cycloplégiques répétés montrent qu’à un certain moment l’hypermétropie remonte, ce qui annonce souvent l’installation d’un strabisme et/ou d’une amblyopie. On notera par ailleurs que la durée du suivi est nettement insuffisante puisque le bilan final est généralement effectué à 3 ou 4 ans alors que l’on sait que la réfraction maximale des sujets à risque se situe vers 6 à 7 ans. Cette date est en effet déterminée par la durée moyenne de libération de l’hypermétropie latente qui dépend étroitement du port permanent de la correction optique totale. La comparaison de l’évolution de la réfraction du strabique et du non strabique doit obéir à la même règle.

évolution а long terme

Si l’on excepte les idées exotiques de Gobin ou de Putteman, la plupart des auteurs confirment la quasi-impossibilité de sevrer les strabiques de leur correction (et plus particulièrement pour la part accommodative). Les sous-corrections établies très fréquemment dans le suivi en réfraction subjective se terminent généralement par la nécessité de retourner à la case départ à l’approche de la presbytie. Hutcheson avec 10 cas de strabismes choisis dans une gamme de réfractions faibles n’a obtenu qu’une seule orthophorie après suppression de la correction.

Correction optique, acuité visuelle et signes fonctionnels
Chez l’enfant

Les résultats apportés par Atkinson, Anker et Friedburg confirment le caractère bénéfique de la correction précoce des amétropies notables sur le développement visuel par rapport à la simple surveillance.
Moore et al [24] ont par ailleurs montré que même pour des amétropies modérées les enfants hypermétropes avaient plus de difficultés scolaires, ce qui n’était pas le cas des myopes.
De nombreuses observations personnelles montrent que les petites amétropies sont fréquemment responsables de ces signes fonctionnels qui perturbent la scolarité et que l’emmétropisation est loin d’être la règle même en l’absence de toute correction.

Chez l’adulte jeune et le presbyte

D’autres observations personnelles portant sur le profil réfractif de l’adulte amblyope nous avaient montré que les patients strabiques présentant des troubles fonctionnels ou une augmentation angulaire à l’approche de la presbytie, se trouvaient en moyenne sous corrigés de 2,00∂. Ces chiffres peuvent être très largement dépassés (>5∂) lorsque la correction avait été supprimée après chirurgie généreuse volontaire ou non.

Correction optique et myopie

En dehors du risque amblyopique associé aux fortes myopies congénitales, le problème de la correction optique chez le myope concerne plutôt la prévention de son évolutivité.
Angi et al n’ont pas constaté de modification évolutive entre myopies corrigées totalement ou partiellement. L’évolution dans les premières années de la vie est plutôt marquée par une légère régression de la myopie. Par contre un élément significativement frénateur de l’évolution serait la correction totale de l’astigmatisme associé. Ce constat est a priori logique compte tenu des observations de la plupart des auteurs qui ont constaté une évolutivité myopique sensiblement plus marquée pour cette association. Nos résultats personnels ne confirment pas totalement ce point de vue, dans la mesure où ce sont préférentiellement les petites myopies avec astigmatisme qui s’emmétropisent (provisoirement) par rapport aux myopies purement sphériques. Mais cette remarque touche essentiellement les myopies modérées (page 120).
À l’inverse, d’autres auteurs comme
Caltrider et al [7] et Rutstein al [30] ont étudié les effets de la surcorrection myopique utilisée comme traitement des exotropies (pour stimuler l’accommodation et donc la convergence). Le risque théorique de stimulation de la progression myopique n’a pas été confirmé par rapport aux sujets non-exotropes.
Goss [12] a comparé des myopes avec correction exacte à un groupe de sujets volontairement surcorrigés. Il n’a pas été trouvé de différence évolutive, encore que les sujets de sexe féminin apparaœtraient plus sensibles.
Ong et al ont étudié l’influence de l’observance du port de la correction. Il n’a été trouvé aucune différence entre les options allant du port permanent à l’absence de correction. L’intérêt du port intermittent reste donc assez théorique. Un choix un peu similaire est celui du bénéfice potentiel des verres progressifs mais qui concerne ici le problème de la mise au repos de l’accommodation. Malgré de nombreux travaux a priori positifs, cette efficacité n’a apparemment pas été confirmée.
L’interprétation de l’évolutivité myopique apportée par Medina va naturellement à l’encontre de toutes ces observations puisque le fait de corriger exactement une myopie s’opposerait au processus naturel d’emmétropisation et favoriserait paradoxalement une nouvelle progression myopique. Cette hypothèse amène à évoquer un autre problème, soulevé par exemple par
Hung et al [13], qui est celui du risque d’une correction trop précoce, en référence à la sensibilité aux expériences de défocalisation chez l’animal.
En ce qui concerne l’âge de début de prescription, Goss est fa-vo-rable à une simple surveillance initiale (sauf en cas de risque évident). C’est également l’attitude qui est préconisée par bon nombre d’auteurs puisque la moitié des petites myopies disparaœtront spontanément avant l’âge de 7 ans. Nous rappellerons que personnellement nous nous basons essentiellement sur l’impact visuel supposé par rapport aux capacités visuelles du jeune enfant. Dès que la myopie dépasse la capacité visuelle, la correction totale nous semble être la meilleure décision (page 8).

Proposition de protocole
Prévention

Compte tenu de l’ensemble des constats énoncés précédemment, nous avons adopté depuis quelques années une démarche parfaitement définie à partir des constats de l’examen systématique du 9e mois (Clergeau [9]).

En présence d’antécédent strabique
• Hypermétropie >+3,50∂ =correction optique totale immédiate;
• Hypermétropie physiologique =
contrôle systématique 6 mois plus tard.

(On rappellera que le vrai risque est représenté par les antécédents du 1er degré, mais que ceci ne peut pas toujours être précisé)

En l’absence d’antécédent strabique
• Hypermétropie >+4,75∂, anisométropie >1,50∂, astigmatisme >2,75∂, et myopie >-3,00∂ =correction totale immédiate;
• Pour tous les autres facteurs de risque, contrôle 3 mois plus tard
:
¬ En cas de persistance ou d’aggravation de l’anomalie =
correction totale;
¬ En cas d’amélioration =
nouveau contrôle 3 mois plus tard.
En dehors des facteurs de risque

La situation concerne principalement les petites myopies. Celles-ci ne seront corrigées que lorsqu’elles entraœnent une baisse effective mesurée ou supposée de l’acuité.

Chez lХenfant amétrope non strabique

Les règles précédemment énoncées sont relativement modulables en fonction du degré de l’amétropie. Cette modulation ne porte d’ailleurs que sur l’hypermétropie. En dessous de +5,00∂, la correction totale n’est pas toujours supportée et il est licite de donner une légère sous-correction qui doit se situer de façon progressive entre -0,75 et -0,25∂. Les sous-corrections dépassant ces valeurs ne sont pas plus confortables et ne donnent pas de meilleure acuité.

Conclusion
Références
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Date de création du contenu de la page : Juin 2010 / date de dernière révision : Décembre 2010