Introduction
L’accommodation (figure n° 1) est un élément essentiel du fonctionnement du système visuel. Elle permet :
• En vision de loin, de compenser le défaut visuel de l’hypermétropie ;
• En vision de près, d’adapter la puissance optique de l’œil ;
• De moduler l’équilibre oculomoteur et de l’adapter à la situation de près par la relation Accommodation-Convergence.
Cette modulation de la puissance optique de l’œil lui permet d’obtenir une acuité visuelle optima en fonction des différentes situations rencontrées. Chez le sujet normal, c’est un système extrêmement bénéfique. Nous allons voir qu’en pathologie, l’accommodation quand elle se dérègle, et le plus souvent dans son lien avec la convergence, entraîne une perturbation profonde du système oculomoteur qui nécessite une prise en charge spécifique par le thérapeute.
Accommodation et amblyopie
Par définition, l’amblyopie est une atteinte du pouvoir discriminateur de l’œil. De ce fait, les méthodes subjectives qui, par définition, utilisent du pouvoir discriminateur de l’œil en sont fortement perturbées. Il y a, de ce fait, une impossibilité pour le système visuel de contrôler le système accommodatif (boucle ouverte).
L’existence d’une amblyopie aura deux conséquences directes :
• Contre-Indication des méthodes subjectives ;
• Indications des méthodes objectives.
Accommodation et système oculomoteur
Chez le sujet normal
Depuis Maddox, on a l’habitude de diviser la réaction de convergence en quatre grandes convergences (figure n° 2) :
• La convergence tonique ;
• La convergence proximale ;
• La convergence accommodative ;
• La convergence fusionnelle.
Cet ensemble forme une boucle fermée dont les principaux objectifs sont les suivants :
• Obtenir une image nette ;
• Lutter contre la diplopie.
Ce système est précis et fin (quelques minutes d’arc).
Chez le sujet pathologique
Chez le sujet pathologique, il se produit une perturbation des quatre convergences, car le dérèglement d’une des quatre convergences retentit sur les trois autres.
Une déviation oculomotrice ou une amblyopie (figure n° 3) entraîne :
• La neutralisation d’une des images ;
• Une boucle ouverte ;
• Un système instable.
Il faut se rappeler que si l’accommodation induit une convergence, l’inverse est également vrai : la convergence induit une accommodation. De ce fait, on comprend aisément les faits suivants :
• Dans les ésotropies, du fait de la convergence déréglée, il y a toujours une part accommodative qui entretient la déviation. Il y a un véritable cercle vicieux : convergence ⊄ accommodation ⊄ convergence (figure n° 4).
• Dans les exotropies, le dérèglement accommodatif, en dehors des sous-corrections prescrites de façon erronée ou involontaire, existe également par un double mécanisme :
¬ La stimulation esthétique. Le sujet sait que son œil « part ». Il fait un effort conscient ou inconscient de ce défaut. Il stimule sa convergence et de là, son accommodation.
¬ La stimulation fusionnelle. La surstimulation fusionnelle naturelle ou éduquée (post-rééducation) entraîne également par le jeu des convergences la surstimulation de l’accommodation.
La thérapeutique aura un objectif essentiel. La mise en place d’un système stable dans le temps et dans l’espace. Seule, la Correction Optique Totale répond à ces exigences.
Accommodation et temps
Nous savons, tous, que le pouvoir accommodatif diminue au cours du temps. Ce fait entraîne une instabilité radicale de cette fonction qui explique que toute thérapeutique basée sur une surstimulation de l’accommodation est vouée à l’échec, en dehors des conséquences fonctionnelles plus ou moins immédiates d’une telle prescription. De ce fait, les règles d’une bonne prise en charge de tout patient présentant un trouble oculomoteur, sont simples : recherche du système emmétrope (amétropie + COT). Celui-ci va permettre d’obtenir le système le plus stable dans le temps, donc la meilleure stabilité pour les solutions oculomotrices.
Cette règle fort simple et de bon sens (élimination de toute stimulation accommodative) est la base de tout projet thérapeutique de qualité.
Les traitements anti-accommodatifs
La cycloplégie
La cycloplégie diagnostique
Elle est la pierre angulaire de tout projet thérapeutique. Nous ne rentrerons pas dans la controverse (cyclopentolate versus atropine) dont le seul effet tangible est qu’elle donne à certains le prétexte d’éviter de faire cet examen indispensable et l’opportunité de ne pas prescrire la COT.
Ces deux molécules sont indispensables et complémentaires et, pour celui qui sait s’en servir, ne présente aucune opposition.
Rappelons l’importance de la répétition des cycloplégies et la nécessité d’en réaliser chez tous les patients présentant des troubles oculomoteurs ou fonctionnels jusqu’à l’âge de 50 ans (figures n° 5 & 6).
Il faut faire une cycloplégie :
• 3 fois la première année ;
• 2 fois tous les ans ;
• À chaque changement de verres ;
• Après chaque intervention chirurgicale (2 mois).
La cycloplégie thérapeutique
Elle est obtenue par la prescription au long cours d’Atropine. Elle est sûrement efficace, mais les effets collatéraux rendent son utilisation anecdotique.
La Correction Optique Totale
C’est le premier et le plus efficace des traitements accommodatif. Comme l’a si bien dit André Roth, le port permanent de la Correction Optique Totale fait « dégorger l’hypermétropie ».
Il n’y a aucune exception. « Si vous accordez 1 minute de non-port, il y aura entre 10 minutes et 24 heures de non-port » (Professeur M-A Quéré). Il faut « demander beaucoup pour obtenir peu ».
Si le sujet ne porte pas sa COT, un certain nombre de règles doit être suivi :
• Vérifier la prescription. L’expérience montre que les erreurs du prescripteur et de l’opticien se partagent à part égale ;
• Évaluer la « qualité » de la paire de lunettes. Il faut reconnaître que nous assistons à une régression de la qualité des paires de lunettes pédiatriques (les réductions de montures d’adulte !) depuis quelques années ; « l’esthétique », le « petit prix » et l’étroitesse du marché ayant chacun une forte responsabilité ;
• Refaire une cycloplégie ;
• Si le bilan est correct et que le sujet ne porte pas sa COT, il faut de nouveau savoir « perdre » du temps pour lui expliquer le projet thérapeutique et l’importance du port de la COT.
Ce n’est pas avec les enfants que l’on rencontre les plus grandes difficultés. L’enfant supporte sans difficulté une correction exacte surtout si l’amétropie est moyenne ou a fortiori importante. Si des difficultés apparaissent, les raisons sont le plus souvent simples :
• Elle est inexacte ;
• Les parents ne veulent ou ne « peuvent » pas faire porter la paire de lunettes ;
• L’ophtalmologiste n’a pas été convaincant (on ne « vend » bien que ce que l’on croit). Il faut refaire un effort de pédagogie auprès des parents.
Comme nous venons de le voir, la règle est simple et ne souffre pas d’exception : prescrire la Correction Optique Totale en toutes circonstances. Nous terminerons en mettant en garde envers les sous-corrections que nous pourrions appeler « cache-sexe ». Il est illusoire d’espérer contrôler une sous ou une surcorrection chirurgicale par une sous-correction optique. L’expérience montre que tôt ou tard le pot-aux-roses est découvert.
Les surcorrections optiques unilatérales : les pénalisations optiques
Il existe de nombreuses variétés de pénalisations :
• La pénalisation totale ;
• La pénalisation inverse ;
• La pénalisation de près ;
• La pénalisation sélective ;
• La pénalisation de loin ;
• La pénalisation alternante ;
• La pénalisation légère.
Pour les trois premières, il faut préférer l’occlusion qui est beaucoup plus efficace pour traiter une amblyopie. Quant à la quatrième, (Pénalisation sélective), elle paraît plus un exercice de style qu’une thérapeutique utilisée et utilisable. Pour leur efficacité et leur simplicité, trois sont à retenir :
• La pénalisation de loin ;
• La pénalisation alternante ;
• La pénalisation légère ±.
Les pénalisations optiques permettent d’obtenir la balance spatiale :
• L’œil non pénalisé regarde au loin ;
• L’œil pénalisé regarde au près.
Cette thérapeutique permet d’obtenir une diminution importante des sollicitations accommodatives (accommodation non usu). Les conséquences thérapeutiques sont nombreuses :
• Levée du spasme accommodatif ;
• Diminution de la déviation en vision de près ;
• Division de l’espace en deux :
¬ Le loin pour l’œil non pénalisé ;
¬ Le près pour l’œil pénalisé.
La compréhension des mécanismes d’action des pénalisations explique leur intérêt dans le traitement de l’amblyopie et dans le traitement de toute incomitance loin-près à part accommodative ainsi que de leur effet angulaire dans tout strabisme. L’effet anti-accommodatif des pénalisations optiques explique que celles-ci sont une pierre angulaire dans la prise en charge de tout strabique.
Les surcorrections optiques bilatérales
Les moyens
Ils sont aux nombres de deux :
• Les doubles foyers ;
• Les verres progressifs.
L’évolution de ces dernières années montre que les indications de verres progressifs s’étendent d’année en année et ceci aux dépens des double-foyers dont les indications sont plus limitées.
En dehors de raisons médicales, on préférera pour des raisons esthétiques et d’efficacité :
• Les doubles foyers : < 4-5 ans ;
• Les verres progressifs : > 5 ans.
Règles de prescription des verres progressifs
Ces règles sont simples et précises. Elles sont une condition nécessaire du succès :
• Port de la Correction Optique Totale en vision de loin ;
• Addition de + 3,5 dioptries ;
• Progression courte ;
• Verre monté haut : + 4 mm chez l’enfant.
Les indications
L’incomitance Loin-Près à composante accommodative
Cette indication suppose des conditions sensorielles précises. Elle représente une indication traditionnelle toujours excellente. Sous l’impulsion du Professeur Quéré, son champ d’utilisation s’est agrandi :
Les conditions sensorielles :
• Absence d’amblyopie ;
• Absence de risques d’amblyopie ;
• Correspondance Rétinienne Normale.
Les conditions motrices :
• Rectitude de loin ;
• Rectitude en vision de près avec la surcorrection.
L’indication nouvelle (Professeur Quéré) :
• Correspondance Rétinienne Anormale ;
• Microtropie en vision de loin ;
• Microtropie en vision de près avec la surcorrection.
Cette prescription permet un contrôle de l’effort accommodatif et, donc, un relâchement du spasme accommodatif. Cette simple prescription, bien supportée sur le plan esthétique, permet de diminuer la déviation en vision de près et d’éviter un certain nombre d’interventions.
Diminution de la puissance des verres en vision de près
On sait depuis Percival que la puissance d’un verre diminue en vision de près. Ceci a deux conséquences :
• Une augmentation de l’accommodation chez les hypermétropes ;
• Une diminution de l’accommodation chez les myopes.
Cette loi de l’optique entraîne une augmentation significative de l’accommodation chez les hypermétropes moyens et forts, qui a pour conséquence une augmentation de la déviation en vision de près. La prescription d’une surcorrection optique en vision de près permet d’éviter les conséquences de cette caractéristique de l’optique.
Les lentilles de contact
Comme nous l’avons vu, la correction optique totale chez l’hypermétrope par une paire de lunettes a un certain nombre d’inconvénients optique et esthétique. La correction par lentilles de contact permet de résoudre un certain nombre de ces inconvénients. En effet, elles permettent :
• Une surcorrection hypermétropique en vision de loin ;
• Une absence de perte de puissance en vision de près.
Ces deux effets vont entraîner un effet anti-accommodatif majeur et souvent positif chez l’hypermétrope (Docteur George). Cependant, chez le myope, cet effet, pour des raisons inverses, est souvent négatif.
Chez l’enfant et l’adolescent, on devra préférer les lentilles flexibles aux lentilles souples pour de nombreuses raisons (Docteur George).
Le traitement de l’amblyopie
Nous avons vu que pour que la mise au point se réalise de façon harmonieuse tant en vision de loin qu’en vision de près, il fallait une image nette. De ce fait pour obtenir une accommodation juste, il ne faut pas d’amblyopie. De même, pour une réfraction subjective précise, il est indispensable d’avoir une image nette.
On voit de ce fait que le traitement de l’amblyopie participe à la régulation du mécanisme d’accommodation. La guérison de l’amblyopie ferme la boucle monoculaire.
La lutte contre la déviation oculomotrice
Les ésotropies
Nous avons vu que la convergence stimule la convergence accommodante, donc l’accommodation. De ce fait, on peut dire que toute ésotropie s’accompagne d’un spasme accommodatif.
Les exotropies
Tout exotrope a conscience de sa déviation et lutte contre celle-ci. L’interrogatoire soigneux des patients montre que ceux-ci « éduquent » de façon volontaire ou involontaire les différents mécanismes de la déviation. À ceux-ci, il faut naturellement ajouter toute « rééducation » orthoptique mal conduite. Cet ensemble entraîne :
• Des spasmes accommodatifs ;
• Une sollicitation excessive de la convergence fusionnelle ;
• Des facteurs spasmodiques en convergence ;
• Une convergence accommodante.
Ces éléments montrent la grande fréquence de l’élément accommodatif dans le strabisme divergent qui vient masquer la déviation de base. Cet élément est très souvent négligé par nombre de thérapeutes.
Conclusion
La thérapeutique anti-accommodative intervient dans de nombreux éléments de la prise en charge de tout patient présentant un trouble sensori-moteur :
• L’amblyopie ;
• La déviation de loin ;
• La déviation de près ;
• La stabilisation de la déviation.
La correction de toute amétropie par la Correction Optique Totale permet d’obtenir un système stable, qui est le seul à pouvoir résister à l’épreuve du temps. Les surcorrections optiques favorisent un relâchement accommodatif complémentaire souvent indispensable.
Ainsi, le traitement optique est la pierre angulaire du traitement de tout strabisme. Il comprend :
• La cycloplégie ;
• La Correction Optique Totale ;
• Les surcorrections optiques :
• Unilatérales : les pénalisations optiques ;
• Bilatérales :
¬ Doubles foyers,
¬ Verres progressifs.
• Les lentilles de contact ;
• La lutte contre l’amblyopie ;
• La lutte contre la déviation oculomotrice :
¬ Les ésotropies ;
¬ Les exotropies.
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